Aborder la Première Guerre mondiale sous l’angle humoristique, en BD ?
N’est-ce pas un peu irrévérencieux ? N’est-ce pas manquer de respect aux gueules cassées, aux mutilés, aux Morts pour la France ? La réponse est non, à condition d’avoir un talent immense et de s’appeler Bouzard. Ses poilus ont des gros nez, des petits yeux, des membres mous. Certains sont vifs, d’autres pas. Ce ne sont pas des héros. Ce sont des hommes. Des hommes normaux, qui subissent les assauts de l’ennemi, les rats au menu, les troubles gastriques, la débilité des ordres de leur hiérarchie. Ils font des bourdes, se font des blagues, tentent de tromper l’ennui, le tout sous la pluie, les obus, les grenades, dans la boue. Ils ont pour ordre de reprendre un château tombé aux mains des boches ? Ils s’y collent. Les généraux avaient lu la carte à l’envers et ils ont repris le four à pain du Père Gustave ? Quelle rigolade ! Bouzard met en scène de petites saynètes de la vie quotidienne dans les tranchées comme autant de gags tirés de dessins animés. Il pousse alors l’humour jusqu’au surréalisme. Et il leur oppose l’horreur du réel, des moments d’émotion pure où les hommes pleurent leurs compagnons et rêvent de se prendre dans les bras. Le mélange en fait des êtres de chair et de sang, des frères, des pères, des tontons, avec leurs faiblesses, leur grandeur, loin des surhommes virils des films de guerre. Le dessin de Bouzard, tout en rondeur, magnifie la normalité en contraste avec le chaos, l’absurde, et rappelle que le rire est une arme contre la sauvagerie.
Marianne Peyronnet