Il y a déjà un bon bout de temps que je cherchais à faire une chronique sur le travail de Nan Goldin.

 

Sécurité. Pour accéder au portail de votre bibliothèque, merci de confirmer que vous n'êtes pas un robot en cliquant ici.

Mais ça semble si délicat de parler de photographie, il ne s’agit de rien de plus que capturer la lumière à un instant précis sur une surface donnée, alors comment expliquer toute l’émotion qui parfois submerge le spectateur ?

Nan Goldin est une photographe américaine née le 12 septembre 1953 à Washington. Issue d’une famille bourgeoise et réservée, elle est la dernière de quatre enfants. Nan bascule dans la marginalité lorsque sa sœur aînée, placée en hôpital psychiatrique parce qu’elle est jugée trop rebelle par ses parents, se jette sous un train à l’âge de 18 ans. Nan a onze ans, ses parents essaient de lui cacher la vérité. « J'ai commencé à prendre des photos à cause du suicide de ma sœur. Je l'ai perdue et je suis devenue obsédée par l'idée de ne plus jamais perdre le souvenir de personne ».

Dés l’âge de quinze ans elle commence à photographier ses camarades d’une école autogérée de Lincoln, puis des jeunes drag queens de Boston avec lesquels elle se lie. Elle obtient ensuite un diplôme de Bachelor of Fine Arts à l’école des beaux arts de Boston, avant de s’installer à New York en 1978, où elle fréquente les milieux punks de Bowery, décimés par les drogues dures. «  J’étais dans le même état que ce que je photographiais. Ce sont les gens avec qui je vivais, ce sont mes amis, ma famille, moi-même. Je photographie des gens qui dansent pendant que je danse. Ou des gens qui ont des rapports sexuels, alors que je viens d’en avoir. Ou des gens qui boivent pendant que je bois. Il n’y a pas de séparation entre moi et ce que je photographie ». Elle devient, au bar The other side, la photographe officielle de son groupe d’amis gays, travestis, et bisexuels, elle commence à diffuser son travail dans les milieux underground et met peu à peu au point une méthode de diffusion particulière, les photos sont développées au magasin du coin et reviennent au bar, circulent et sont collectionnées par ses amis. A mille lieues de la photo de galerie, ce mode de distribution original va lui permettre de développer une représentation en rupture totale avec les canons en vigueur : une photo décadrée, bougée, floue, surexposée ou sous-exposée, faite sur des tirages bon marché, célébrant la beauté sans filtre, celle qui émerge sous la violence, les ruptures, les coups… Nan un mois après avoir été battue, son autoportrait au flash, le visage tuméfié par les coups, en gros plan, restera une des plus anti-conformistes représentations de la femme, et lui assure à elle-seule l’entrée au panthéon de l’histoire de l’art.

En 1988, Nan Goldin retourne à Boston pour une thérapie, retrouve ses meilleurs amis, continue à photographier, et les voit tous mourir du SIDA, imprimant sur pellicule jusqu’à leurs derniers instants, avec la tendresse infinie qui parcourt son œuvre. Elle crée petit à petit un univers unique qu’elle mettra 17 ans à finaliser sous la forme de The ballad of sexual dependency, un diaporama de 900 photographies mis en musique au son des eighties, et témoignant d’un milieu mutilé par l’usage des drogues et le déferlement du SIDA avec une intensité et une intimité qui confinent à l’universel. (Edité en français par la Martinière en 2013).

Le Terrain de jeu du diable est une rétrospective de son œuvre publiée par Phaidon, c’est souvent cru et parfois gênant et triste, mais la tendresse qui parcourt toute l’œuvre éclaire d’un soleil bas la brume impressionniste que sous-tend son amour intimiste de la vie malgré tout…

Lionel Bussière