Norman Spinrad est un grand facétieux, un grand provocateur en tout cas.
A sa sortie, en 1972, Rêve de fer était une simple jaquette, dissimulant un second roman intitulé Le seigneur du Svastika, par un certain Adolf Hitler. Né en Autriche en 1889, celui-ci avait émigré aux Etats-Unis peu après la Grande guerre, après avoir brièvement fréquenté un éphémère groupuscule d’extrême-droite. D’abord illustrateur pour les magazines de science-fiction, il s’était rapidement pris au jeu et avait écrit une dizaine de romans qui firent de lui une figure bien connue des amateurs du genre. Le seigneur du svastika voit la lutte victorieuse du Purhomme Feric Jaggar contre les hordes de mutants dégénérés manipulés par la race infecte des Dominateurs de l’Empire de Zind. Une longue suite de massacres sur fond de virilité triomphante : autant dire que l’intérêt purement littéraire d’un tel chef d’œuvre est assez limité. Passé le premier mouvement de curiosité, on s’ennuie ferme devant cette reconstitution fantasmée de l’aventure nazie. On s’ennuie, mais seulement jusqu’à la postface à la seconde édition, datée de 1959 et signée par l’estimable Homer Whipple, de New York. Lequel s’interroge sur l’inexplicable succès d’une œuvre aussi médiocre, sauf à le mettre au compte de la démoralisation générale engendrée par la domination soviétique sur la quasi-totalité du monde habité… Ainsi, par un habile tour de passe-passe, un indigeste space opera se change-t-il en un objet conceptuel assez unique dans l’histoire de la SF, un provoquant jeu de matriochkas littéraires ouvrant sur une vaste réflexion quant à l’immaturité parfois confondante de la science-fiction, dont nombre d’œuvres « ordinaires » ne sont parfois pas très loin des délires racistes du Seigneur du svastika : de La race à venir d’Edward Bulwer Lytton, précurseur du genre, d’un Lovecraft ouvertement pronazi aux élucubrations d’un L. Ron Hubbard, fondateur de la Scientologie, le bel univers étoilé du roman conjectural dissimule parfois de bien noires intentions…
Yann Fastier