Depuis une trentaine d’années, le jardinier-paysagiste Gilles Clément révolutionne sa discipline
à travers les notions de jardin en mouvement et de tiers-paysage, privilégiant une approche fondamentalement écologique qui le mène à une réévaluation de la « friche » comme réservoir primordial de biodiversité. Au carrefour de l’art, de la poésie, des sciences naturelles et de la politique, il ouvrait ainsi la voie à de nombreuses expériences transdisciplinaires, souvent financées par la commande publique, où ses théories se trouvent mises en pratique in situ. Vincent Gravé, dessinateur tout-terrain et jardinier amateur, a voulu en savoir plus. Empoignant crayons et carnet de croquis, il s’en est allé à la rencontre de quelques-uns de ces jardins, en compagnie chaque fois d’un médiateur pour le moins inattendu : ainsi un trader de la Société Générale ( !) lui fait-il les honneurs des jardins de La Défense, un alchimiste ( !!!) de celui du parc André Citroën, un Chinois ( ?) des jardins du Musée des Arts Premiers et un chef jardinier (ouf) de l’étonnante île Derborence, à Lille, à-pic de 7 m, inaccessible au public où, depuis 1990, la végétation s’épanouit dans une indiscipline toujours scandaleuse aux yeux de quelques adeptes du « béton vert ». Prétexte à une réflexion plus globale sur la notion même de jardin, le parcours culmine par une visite de la Vallée, en Creuse, chez Gilles Clément, domaine matriciel et terrain d’expérimentation amoureusement entretenu par le Maître en personne. Un « maître » au discours d’une clarté lumineuse et d’une simplicité à toute épreuve, à l’image d’un dessinateur attachant, qui se croque lui-même en modeste matou aux yeux ronds, candide ébahi amoureux des potagers et d’une nature qui, rappelons-le, commence tout de même à méchamment partir en sucette, jardiniers visionnaires ou pas.
Yann Fastier