Beau ténébreux androgyne tout droit sorti d’un shōjo manga, un jeune et riche dandy fin-de-siècle est un jour révélé à lui-même par une comtesse un rien perverse.

 

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Affublé de vêtements féminins, il tombe illico amoureux de celle qu’il découvre dans le miroir et n’aura de cesse de la laisser advenir en lui, lui laissant peu à peu toute la place au long d’un parcours initiatique qui, entre rêve et réalité, la verra devenir épouse et putain, porteuse inlassable de multiples histoires.

Depuis La Robe (Corti, 2006), le fil rouge de la transidentité traverse toute l’œuvre de Robert Alexis. Rien n’en saurait être plus éloigné, cependant, que les modernes études de genre qui, peu ou prou, tendent in fine à normaliser, voire à « sociologiser » les corps quand, manifestement, le thème est ici perçu comme relevant plutôt d’une aristocratie de l’âme, d’une forme d’exaltation du moi s’ouvrant en une démarche personnelle à la multiplicité de ses possibles. En proie à la vertigineuse extase de qui accueille en lui la dualité, la désormais narratrice n’a pas besoin de faire société. La richesse et la beauté facilitant bien les choses, elle la domine et s’en joue depuis des hauteurs auxquelles n’accèdent que ceux qu’elle veut bien faire entrer dans son jeu. De même écarte-t-elle tout discours médical, qui la voudrait mal née femme dans un corps d’homme : de nature essentiellement transcendante, sa métamorphose doit relever pour s’accomplir d’une forme de transgression ou, mieux, de révélation : « N’y a-t-il pas de la beauté à franchir les passages que la nature interdit ? » demande-t-elle à son futur époux quand il s’agit d’abord de reconnaître un autre qu’on « (…) sait d’autant mieux exister en soi qu’on s’exerce à longueur de vie à en limiter la présence ». Ainsi la belle Hortense ne perd-elle jamais une occasion de s’expliquer ni d’exposer sa démarche, afin de couper court à toute interprétation réductrice. Une telle prudence, toutefois, qui donne au roman une forte coloration philosophique que d’aucuns pourraient trouver bavarde, n’était peut-être pas si nécessaire quand, par-delà toute justification, il est à l’évidence avant tout mené par le Désir. Sans jamais se contraindre au torride, l’éros est en effet partout chez lui dans cette histoire, infiniment troublante comme le sont tous les jeux de miroirs. Quel homme, après tout, même « pour voir », n’a jamais au moins rêvé de se vêtir en femme ? Qui pour n’avoir jamais secrètement convoité cette autre façon d’être au monde et n’avoir un jour espéré se découvrir femme dans le regard de l’autre ? Qui pour ne se l’être interdit que par crainte de n’être pas parfaite ? À tous ceux-là, L’homme qui s’aime offre une chance de se refaire et c’est une chance insigne et rare, servie par une langue délibérément inactuelle, portant à son plus haut point d’incandescence une œuvre qui, pour n’être pas la plus exposée de toutes, n’en est pas moins prégnante. L’une des plus prégnantes, sans doute, de la littérature d’aujourd’hui, pour ce qu’elle sait aller chercher et révéler en nous de vérité par-delà tout discours à la mode et tout effet de surface. À tort ou à raison, le féminisme ordinaire n’y trouvera peut-être pas son compte mais peu importe : on met au défi n’importe quel homme qui ne s’aime pas de ne pas s’aimer en Hortense.

Yann Fastier