Le 25 mars 1931, à Scottsboro, Alabama,

 

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neuf jeunes chômeurs noirs qui voyageaient à bord d’un train de marchandises sont arrêtés et faussement accusés de viol sur deux femmes blanches. Ce qui, dans l’un des états du Sud les plus ouvertement racistes, leur vaudrait en temps normal un lynchage en bonne et due forme, se transforme miraculeusement en une cause nationale de la gauche américaine, qui donnera lieu à deux importantes décisions de la Cour suprême et marquera une avancée décisive dans le mouvement pour les droits civiques des noirs américains, en leur donnant enfin droit à des procès « équitables » (i.e. dont le jury ne soit pas uniquement composé de blancs). Pris en charge par la branche américaine du Secours rouge international (émanation du Komintern), bientôt suivi par de nombreuses autres organisations, les neuf de Scottsboro échapperont finalement à la chaise électrique, au terme d’un interminable périple judiciaire qui ne s’achèvera qu’en 2013, par la réhabilitation posthume des trois derniers inculpés. L’affaire, bien oubliée de nos jours, donna pourtant lieu à de très nombreuses productions – chansons, poèmes et jusqu’au célèbre roman de Harper Lee, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, qui s’en inspire ouvertement. Ce livre en est l’un des avatars, resté inédit jusqu’à la fin des années 90, lorsqu’il fut retrouvé dans le fonds légué à la Tamiment Library par les héritiers de Joseph North, journaliste communiste bien connu dans les années 30. On ne sait rien de ses auteurs, Lin Shi Khan et Tony Perez, sinon qu’ils appartenaient très certainement à cette gauche révolutionnaire américaine soigneusement occultée par la Guerre froide et qu’un historien comme Howard Zinn a pu contribuer à remettre en lumière[1]. Il se présente sous la forme alors très usitée d’un roman graphique (dans l’acception originelle et non celle, galvaudée, qui prévaut chez nos amis snobs qui ne sauraient évidemment s’abaisser à lire des BD) – en l’occurrence une suite de linogravures légendées, manifestement assemblées dans un but d’éducation militante. D’une grande puissance graphique tout en restant très « brutes de décoffrages », le grand mérite de ces planches est avant tout de ne pas s’arrêter à la seule histoire édifiante des Scottsboro boys, mais de la replacer dans le contexte plus vaste de l’oppression des noirs, depuis les débuts de l’esclavage jusqu’à la prise de conscience de leur condition prolétaire, qui doit les pousser à s’unir aux travailleurs blancs dans leur combat contre un oppresseur identique. Impeccablement édité par les éditions L’échappée et entouré par un copieux appareil critique qui aborde l’également l’impact qu’eut cette affaire en France et dans le reste de l’Europe, Scottsboro, Alabama témoigne certes de son époque, mais aussi de la force que revêtent les images quand il s’agit de convaincre. A cet égard, cette suite de gravures, synthétiques et fortement chargées de symboles, habitées par l’urgence de vies à sauver, s’avère particulièrement imparable.

Yann Fastier

 

[1] Howard Zinn Une histoire populaire des Etats-Unis, de 1492 à nos jours. – Agone, 2002.