Etre une bande de potes de quinze-seize ans, zoner ensemble tout le temps,
faire des expériences pourvu que ça rigole et que ça fasse peur et chier les gens, les parents, les vieux, les flics, les profs, tout en se démontant la tête au son d’un ghetto-blaster beuglant du punk rock, fort… Sans être glorieux, tout le monde (ou presque) l’a fait, et nombreux sont les romans à s’être emparés du thème. Mais voilà, Valentina est un roman qui se passe à Mertvecgorod.
Pour sa troisième immersion dans la capitale cauchemardée de la RIM, dans un coin à l’est du monde civilisé, Christophe Siébert suit les traces d’une poignée d’ados. Il y a là Klara, Laska, Sbrod, General et Kreditka. Entre la chkola - l’école - (obligatoire sous prétexte de maintien des allocs à leurs géniteurs) où ils s’ennuient ferme, la maison (pour ceux qui en ont une) où leurs parents s’occupent plus de picoler que de leur préparer des repas équilibrés, la vie normale ne mériterait pas qu’on la poursuivre s’il n’y avait le reste. Les sorties, le skate, les copains, les drogues, les balades nocturnes dans cette ville glauque et dangereuse, les dopes en tous genres, tout ce qui fait vivre plus, donne des frissons, tout ce qui permet d’oublier la solitude, la pollution, le manque de perspective, le désespoir.
Klara, auprès de laquelle Siébert s’attarde a déjà tout connu. L’ivresse, la défonce, l’amour. Elle a déjà été déçue, surtout par l’amour. Le flic qui la baisait l’a laissé tomber. Elle a eu mal et s’est promis de ne pas retomber. Son cœur est sec. Quand Valentina, vieille extravertie du quartier qui fut autrefois un homme, est retrouvée massacrée dans sa turne de misère, Klara sent bien qu’elle est toute proche de vaciller, de s’émouvoir, d’éprouver.
En focalisant l’attention du lecteur sur un petit groupe d’individus, Siébert change de registre et explore une nouvelle facette, plus sensible, de sa ville et de son talent. Bien sûr on retrouve les éléments qui font la force de son univers. Evidemment, l’environnement dans lequel évoluent ses personnages ne sent pas la lavande, ne montre pas des appartements luxueux où les soucis des habitants se résumeraient au choix de la déco. Dans cette partie de Mertvecgorod, on a faim, froid, on souffre. En ce début de deuxième millénaire, la capitale ne semble promettre qu’un inévitable chaos. Et pourtant, dans cet Orange mécanique exotique, ses ados, ballottés entre crise existentielle et désir d’en découdre, au son d’un punk rock vintage venu de la Russie voisine, se débattent (ou se laissent aller) avec tant d’énergie qu’on en a les tripes secouées. Dans leur microcosme, les mots amitié, solidarité ont du sens malgré le chaos. Candides autant que lucides, ils refusent le statut de victimes et hurlent leur rage d’être nés, surtout du mauvais côté de la zona. Ils sont les fleurs de la décharge, l’âme d’une humanité dégénérée. Leur No future, sincère, porte la grâce de vivre et retrouve sa force originelle.
Marianne Peyronnet