Joëlle Losfeld n’a pas son pareil pour dénicher des talents venus d’Irlande, souvent féminins.

 

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Dernière découverte en date, Michelle Gallen, dont elle publie le premier roman.

Majella est une jeune femme – une vieille fille disent certains - qui vit à Aghybogey, un village nord-irlandais où les jours se ressemblent. Elle bosse dans le fast-food du bled et soigne ses rondeurs à coups de fish and chips et de coca que madame Connasse, sa patronne, lui accorde en plus de sa maigre paye. Majella habite chez sa mère, dépressive alcoolique abandonnée par un mari dont on ignore ce qu’il est devenu. Majella joue le rôle de chef de famille. Elle nourrit, lave, couche sa mère, et vire ses amants bourrés à l’occasion. Le rôle est pesant, alors Majella soigne ses angoisses dans la bouffe, les rituels et les tocs – balancements d’avant en arrière, claquements de doigts au fond des poches, visionnages compulsifs d’anciens épisodes de Dallas… et constitution de listes des choses qu’elle aime ou pas. C’est à travers ces listes et de courts chapitres les illustrant que l’on apprend à la connaître, de même que les individus qui peuplent son environnement. Le bourg est petit et tout le monde se croise dans l’établissement de restauration rapide où elle travaille avec son collègue Marty. Elle sait d’avance ce que les clients vont commander. Ils savent déjà tout de sa lignée. Il y en a qu’elle aime, d’autres qui sont méchants. Les langues se délient quand, suite au meurtre de sa grand-mère, elle hérite de quelques arpents de terre.

A travers les réflexions, les sentiments profonds de son héroïne, ses idées parfois tournant à l’obsession, Michelle Gallen dresse le portrait d’une femme atteinte de compréhensibles névroses, tournant en rond comme dans une cage, mais surtout dotée d’une vraie force de caractère qui pose un regard acéré sur ses contemporains et donc sur ce petit coin d’Irlande du nord. Les jours se ressemblent – boulot, dodo – la routine rassure, tant qu’il ne s’agit pas des sempiternels attentats, attaques et représailles qui n’ont épargné aucune famille. Les réformés se tiennent le plus souvent tranquilles. Les Anglais demeurent sur le qui-vive. Les catholiques tiennent le haut du pavé, la garde et le crachoir. Les détails prosaïques de la vie de Majella, ses observations souvent mâtinées d’un humour noir désarmant dessinent une Irlande plus vraie que nature – le crachin, le pub, l’odeur de graillon poussée par le vent – et des habitants qui émeuvent par leur sincérité, leur spontanéité infantile ou agacent par leur curiosité maladive, bercée par l’ennui. Les pensées intimes de Majella, parfois tristes, jamais sordides, débaroulent à la vitesse de la lumière, touchent à tous les sujets, font rire ou émeuvent, l’englobent et la dépassent, tendent à l’universel.

Marianne Peyronnet