Après avoir dit tout le bien que nous pensions de son précédent Jorge Luis Borges, inspecteur de volailles, il est difficile de se renouveler concernant ce nouveau « roman graphique » de Lucas Nine.

 

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Lequel n’est plus seulement le fils de son père mais semble avoir définitivement pris son envol, et, porté par de forts courants ascendants, atteint cette altitude où l’on tutoie les anges au gros nez de la bédé céleste. Les anges, en l’occurrence, ont des ailes membraneuses et tiendraient plutôt du vampire. Celui, notamment, qui terrorise cette pseudo-Budapest d’entre-deux guerres où évolue son héros, l’inspecteur Sigilozy, du Bureau des Digressions, dont la suffisance dédaigneuse rejoint un aveuglement qu’on lui pardonne cependant, tant l’auteur met de malice à brouiller son histoire déjà farfelue, prétexte à toutes les galipettes narratives imaginables jusqu’à la mise en abyme finale, bien digne d’un Argentin à l’hérédité chargée, de Borges et Cortazar aux neuf reines de Fabián Bielinsky. Lucas Nine l’avoue lui-même, la bibliothèque de son père aura eu pour lui au moins autant d’importance que son style. On le conçoit volontiers en relevant quelques-unes des multiples références et citations dont le livre est truffé, entre Fritz Lang, Dashiell Hammett ou le grand caricaturiste péruvien Málaga Grenet ! Bien d’autres nous échappent certainement, quand l’album lui-même est littéralement basé, de façon toute rousselienne, sur « la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » ? Après tout, Montevideo, où naquit Lautréamont, n’est pas si loin de Buenos Aires et la chauve-souris vampire figure à l’inventaire de la faune argentine. Comme elle, Lucas Nine virevolte dans la nuit au rythme capricieux d’un style tout en volutes, à la limite de l’abstraction, parfois, aussi déroutant que ses histoires. Mais que vaudrait un voyage au chemin tout tracé ? Que vaudrait un récit qui jamais ne bifurque ?

Yann Fastier