Pour qui a vu Le plein pays d’Antoine Boutet, Jean-Marie Massou n’est pas tout à fait un inconnu.
En d’autres temps, on se serait contenté d’en faire le fou du village, un personnage pittoresque et plus ou moins fréquentable comme il en existe un peu partout. L’intérêt pour l’art brut aidant, il a cependant pris rang parmi ces « inspirés du bord des routes » (pour reprendre le titre du livre fondateur de Verroust et Lacarrière) qui, suivant l’exemple du facteur Cheval ou de Picassiette, laissent libre cours à leur créativité en peuplant leur jardin de sculptures enchanteresses et colorées. Massou, toutefois, est différent : chez lui, peu de choses à voir en surface, tout se passe en sous-sol. Car le bonhomme est avant tout une sorte de mineur ou plutôt, comme il le dit lui-même, de « désobstructeur ». Véritable taupe humaine, il aura passé la majeure partie de sa vie à truffer les alentours de sa bicoque lotoise de dizaines de puits, de tunnels et de galeries parfois impressionnants, dégageant presque à mains nues des pierres énormes, à la recherche d’une hypothétique cité extraterrestre qu’il pressentait sous chaque caillou.
Amateurs de grottes et d’art brut, Elsa Amsallem et Martin Mongin sont allés à sa rencontre et, rapidement fascinés, ils projettent de revenir pour tourner un film. L’affaire ayant rapidement tourné court, ce sera donc ce livre. Un livre qui, il faut en convenir, ne tient pas vraiment ses promesses. Ouvert sous les couleurs de l’épopée, il s’achève en queue de poisson, la mort de J.-M. Massou mettant d’ailleurs un terme définitif aux velléités d’auteurs dont l’enthousiasme peine à cacher l’amateurisme. En résumé, ces jeunes gens se la jouent un peu, quitte à prendre leurs désirs pour des réalités, quitte à «[nourrir] dangereusement le délire de Massou » (ce dont ils conviennent avec honnêteté). En définitive, leur livre en dit plus long sur eux, sur un certain désir de réenchanter le monde que sur Massou lui-même, dont le trip solitaire est somme toute assez glauque et dont on apprendra davantage avec la double page que lui consacre Bruno Montpied dans son fantastique Gazouillis des éléphants. Cette naïveté n’est pas sans fraîcheur et c’est pourquoi on leur pardonnera la forme un peu vaine et compassée que prend leur journal de vacances, entre recours à Aristote et rapport d’expériences, avec carte dépliante au crayon de couleur aquarellable. Il y a là quelque chose d’enfantin qui porte à l’indulgence, quelque chose également qui semble en dormance et ne demander qu’à surgir – un désir de fiction naguère mieux assumé par Martin Mongin dans un premier roman remarqué (Francis Rissin, Tusitala) et qui rappelle de loin les cultissimes Manuscrits d’Imago Sekoya. Quelque chose, en tout cas, qui ne fait bizarrement pas tout à fait regretter le temps perdu à lire ce petit bouquin ni fait ni à faire.
Yann Fastier