Les vies les plus plates revêtent parfois d’étranges contours.

 

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À la suite d’une mutation, un jeune couple s’installe à la campagne, dans une maison prêtée par les parents de monsieur, qui vivent à côté. Ayant démissionné pour suivre son mari, madame peine à se faire à sa nouvelle vie de femme au foyer. Peu à peu, au bruit entêtant des cigales et dans la lumière vibrante d’un été suffoquant, la jeune femme voit son morne quotidien visité par d’inexplicables bizarreries : une drôle de bête noire qu’elle suit sur la berge trouée du fleuve, une voisine ambiguë, des grappes d’enfants envahissants et jusqu’à un soi-disant frère aîné de son mari, dont elle n’a jamais entendu parler et qui vivrait en reclus dans la remise…

Après L’Usine (Bourgois, 2021), Hiroko Oyamada, née en 1983, renoue avec l’inquiétante étrangeté de ce premier roman très remarqué. Le décor, toutefois, n’a plus rien ici de dantesque : parfaitement morne, il est en phase avec une narration suffisamment lisse pour laisser à l’ange du bizarre toute latitude de balayer le récit de ses ailes. Même si la peur ne se tient jamais bien loin, c’est cependant l’inadéquation qui vient avant tout flouter les contours du réel et le peupler des mirages de l’ennui. Entre un mari cramponné à son téléphone et une belle-famille perpétuellement affairée, la solitude d’Asa prend la forme très concrète d’un trou. Un trou juste à sa taille (« presque une trappe conçue spécialement pour moi ») dans lequel elle tombe sans se faire mal mais d’où elle ne sort pas non plus sans peine. Faut-il alors se livrer à une lecture sociologique, la condition d’Asa reflétant celle de nombreuses jeunes femmes mariées dans un Japon encore très sexiste ? On se gardera bien de le faire, afin de ne réduire en rien une histoire qui vaut par ailleurs bien mieux que sa couverture « japonisante », particulièrement malvenue quand l’absence de tout pittoresque fait en grande partie la force du roman.

Yann Fastier