Alors que le sort des musées est toujours suspendu aux spicules du dernier virus à la mode, jamais les livres d’art ne nous auront mieux consolés.
Bien sûr, ils ne remplaceront jamais l’expérience directe de l’œuvre mais il est des moments où même une mauvaise photo parvient à vous causer des bouffées de joie. Aussi n’est-ce pas sans émotion qu’on ouvrira cette monographie consacrée au sculpteur Vladimir Skoda, l’un des artistes les plus discrets mais certainement parmi les plus authentiques d’une époque volontiers tapageuse en la matière.
Né à Prague en 1942, Vladimír Škoda arrive en France en 1968 pour suivre les cours de César aux Beaux-Arts de Paris. Fort d’une formation de tourneur-fraiseur, c’est presque naturellement qu’il s’oriente vers le travail du métal, dans un esprit de confrontation qui lui fait d’abord privilégier la forge. « Chauffé à cœur », frappé, tordu, le fer se met en boule, en lourdes masses enroulées sur elles-mêmes, fendues, bosselées où se lisent encore les traces du véritable combat auquel se sont livrés le métal et le bras qui l’a forgé. Combat créateur, cependant, en ce qu’il enclenche un processus qui, de la boule, conduit bientôt à la sphère, forme parfaite, et même idéale selon Platon, qui occupera une place prépondérante au sein d’une œuvre dont elle deviendra le principal marqueur. Qui dit Skoda dit sphère : on pense évidemment à ces billes d’acier bruni ou bien poli comme un miroir, disposées dans un environnement avec lequel elles entrent en résonance selon leur géométrie propre, une plasticité que ne vient contredire aucun concept préalable. Car si l’art de Skoda trouve des interlocuteurs valables dans les sciences et la mathématique, il n’est cependant jamais hors-sol. Plus alchimiste que chimiste, le sculpteur travaille avant tout des analogies : ce qu’il construit, ce ne sont pas des modèles mais avant tout des images, les représentations actives d’un monde en mouvement, d’une harmonie des sphères où il s’agit, non pas de théoriser des forces mais de les montrer à l’œuvre. Profondément cohérent, son travail suit une trajectoire hyperbolique, s’engendrant elle-même au fur et à mesure qu’il s’invente, des premières pièces forgées, telluriques, aux cartographies de roulements à billes et aux dentelles de tôle perforée des dernières pièces. Chaque sculpture en engendre une autre, sans crise ni table rase mais avec une logique et un esprit d’à-propos dont ce livre, opérant comme une rétrospective, souligne à l’envi l’obstination. S’il ne peut s’empêcher de sacrifier parfois à un certain verbiage « contemporain », il laisse heureusement une grande place à la parole – limpide – de l’artiste, tout en donnant à voir son travail avec une profusion qu’on ne reverra malheureusement pas de sitôt.
Yann Fastier