Ed a toujours détesté la ville où il a grandi. Cerbère, banlieue parisienne, quartier résidentiel plutôt chic où il fait bon être comme tout le monde.

 

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Géant d’1,92 m, squelettique à cause du syndrome de Marfan, Ed n’est pas comme tout le monde. Ni physiquement, ni mentalement. Il trimballe une déprime profonde, collée à son âme comme la peau sur ses os. Cette différence il la cultive, l’alimente. Les sapes qu’il porte sont noirs, sombres comme les disques qu’il écoute, ces vinyles hérités de son père, Siouxsie Sioux, Bauhaus, This Mortal coil... Dark, so dark. La musique comme échappatoire. Avec Lila, sa seule amie, il fonde un groupe, Ligne 13. Leur unique concert, au lycée, tourne court. Moqués par une foule d’ados débiles, agressés, ils finissent bannis. TS. HP. Avec l’argent légué par son père, il s’enfuit direction Montréal. Sa carrière de DJ s’envole. Ascension, désillusion et chute. Retour à Cerbère.

Le premier roman d’Adrien Durand, journaliste aux Inrocks, créateur du fanzine Le Gospel et des éditions du même nom, auteur d’essais, Kanye West ou la créativité dévorante, et Tuer nos pères et puis renaître, qui « arpente depuis 15 ans les scènes et coulisses de l’underground rock » ne pouvait être que musical. Dans ce bel hommage aux groupes cold wave ou goth des années 80, les morceaux charpentent le récit, donnent de l’épaisseur à la mélancolie d’Ed. Ils sont le fil qui relient les différentes étapes de sa vie, dans cette histoire qui mixe passé et présent, ici et ailleurs. Ils posent une question primordiale : peut-on définir quelqu’un à partir de sa collection de disques ? Et dans ce cas, comment définir Ed ? Qui est-il ? Un flambeur attiré comme sa mère par les projecteurs et les vapeurs d’alcool ? Un solitaire, porteur de la même fragilité psychologique que ce paternel disparu dans d’obscures circonstances ? Adrien Durand ne tranche pas, il cache. Il laisse les souvenirs émerger, l’avenir se rêver, dans le flot des pensées de son personnage. Des pensées qui s’agitent, acides, violentes comme les Bad Brains, ou se perdent, lentes comme la mémoire sous Lexomil, et composent un récit onirique et étrange, sublimé par une mise en page singulière.

Marianne Peyronnet