Représentant pour une fabrique d’on-ne-sait-quoi, Dubalu part en tournée.
Chemin faisant, il musarde, baguenaude, s’illusionne et s’imbibe, fort d’une liberté qu’il sait, au fond de lui, précaire.
Initialement paru chez Gallimard en 1961, sous le patronage de Raymond Queneau, ce court roman fait aujourd’hui l’objet d’une réédition soignée à La Grande batelière, toujours aussi pertinente dans ses choix. Loin de la simple étude de mœurs estampillée « trente glorieuses » à laquelle on aurait pu s’attendre, il continue d’étonner par son parti-pris narratif, tout en coq-à-l’âne et phrases tronquées, aussi proche que possible du cheminement arbitraire des affects sans pour autant céder au « flux de conscience » initié en France par Édouard Dujardin avec Les lauriers sont coupés (1887) : « Alors cette certitude le rend tout joyeux et il fait des grimaces à toutes les femmes qui passent, se décide même à en suivre une, une petite, cheveux roux, manteau beige clair, qui avance en s’appliquant sur de très hauts talons, / mais la laisse disparaître dans une rue transversale, / vais quand même pas m’amuser à, / continue sa promenade et, chemin faisant, achète le journal de Paris, et se retrouve confortablement installé dans un café pour l’apéritif où / (...) » Difficile d’élire un morceau en particulier, il faudrait tout citer. Quoi qu’il en soit, la syntaxe est aux manettes, qui semble actionner Dubalu comme un pantin ou, plutôt, nous le montre agi par ses pulsions simples de bonhomme ordinairement soiffard et libidineux. Ainsi l’illusion de liberté qu’il s’octroie se trouve-t-elle contredite par la langue même, qui le laisse, vaguement pathétique, accroché au sein d’une prostituée comme à sa vie ratée.
Écrivain d’une grande discrétion et bien oublié aujourd’hui, lui-même toute sa vie représentant pour « une grande maison d’édition », Bernard Waller (1934-2010) a laissé une œuvre rare et peu rééditée dont la fantaisie légère et la modestie valent mieux que bien des tonitruances contemporaines. À déguster en terrasse, avec des cacahuètes et deux glaçons.
Yann Fastier