De mai à juillet 1760, en Jamaïque, le charismatique Tacky, esclave arraché à son Ghana natal pour servir de main-d’œuvre dans les champs de canne à sucre, sema l’esprit de révolte parmi ses frères de misère
et mena un soulèvement sanglant contre les colons britanniques lors d’un épisode qui a profondément marqué l’histoire de l’île et de l’ensemble des Caraïbes. C’est de cette rébellion mémorable dont s’empare Alex Wheatle pour construire son récit dans ce roman court, efficace, qui donne la rage.
A travers les yeux de son personnage principal, Moa, l’auteur retrace les faits historiques au plus près, faisant de ce jeune esclave à peine sorti de l’enfance l’un des participants à l’insurrection. Moa est l’un des nombreux hommes prêts à mourir pour gagner sa liberté. Il n’est pas plus un héros qu’un autre, il le devient poussé par les circonstances, les rencontres, l’impossibilité pour lui de continuer à accepter ces conditions de vie effroyables au-delà de l’imaginable.
Wheatle fait monter la tension en exposant différents incidents auxquels Moa est confronté, impuissant à endiguer la douleur des siens. Les maîtres sont sans aucune pitié. La vie de leurs ouvriers ne compte pas plus que la vermine. Le travail est harassant, sous un soleil de plomb. La canne, dure à couper, cisaille la peau jusqu’au sang. Le repos de quelques heures se fait à même le sol. La nourriture ne permet que la survie. Un regard mal interprété vaut dix coups de fouet. Hommes, femmes et enfants accomplissent leur tâche dédiée jusqu’à l’épuisement. Dans cette existence qui ressemble à l’enfer, aucun rêve ne semble possible. Pourtant, l’espoir advient. Face à la répression, les coups, les humiliations, la haine devient une force, une énergie, une vague qu’on souhaite assez puissante pour tout saccager.
Emaillé de dialogues retranscrits dans un dialecte créole crédible, où les croyances ancestrales se heurtent à une réalité mortifère, Les guerriers de la canamelle décline toute la puissance évocatrice de la littérature et continue de bouleverser longtemps après en avoir fini la lecture.
Marianne Peyronnet