Quiconque a vécu sur ses bords sait combien la Loire imprime sa marque aux pays qu’elle traverse.

 

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Les autres auront pour s’en convaincre les photographies de Thibaut Cuisset, rassemblée dans ce très bel album à l’occasion d’une exposition au château de Tours, pôle associé au Jeu de Paume. Jusqu’à sa mort, en 2017, Thibaut Cuisset fut l’inlassable arpenteur de ce qu’on appelle aujourd’hui « les territoires », s’inscrivant expressément dans la succession des grandes campagnes photographiques qui, de la mission héliographique de 1851 à celle de la DATAR dans les années 80, contribuèrent à documenter de manière sensible un certain état de la France. Il aura mis dix ans à parcourir la Loire dans l’intégralité de son cours, du mont Gerbier-de-Jonc à Saint-Nazaire, dix ans pour finir de lui dresser le portrait, au gré de commandes publiques dont il se jouait comme de contraintes créatrices, propres à lui fournir le cadre où déployer sa démarche, à l’écart de toute visée touristique. En effet, le pittoresque des grands sites et des châteaux ne le retient guère. Au contraire, il privilégie des espaces a priori sans qualités, le long de cette frontière incertaine où la ville s’invite le long du fleuve, ne serait-ce qu’à l’état d’indice ou de trace : tel bâtiment industriel au milieu des champs, telle centrale nucléaire fumant au-dessus de la ligne des arbres, tel lotissement en cours de construction, telles maisons sans caractère le long d’une quelconque nationale… Est-ce à dire, au prétexte qu’elles ne paraîtront sûrement jamais dans Géo, que ces photos sont laides ? Bien au contraire, elles frappent par leur calme et austère beauté, au point que le plus néophyte des regardeurs ne saurait manquer de pressentir la dose de patience et d’attention qu’elles ont nécessitées. Prises à la chambre, elles s’offrent dans une lumière souvent froide, uniforme et sans ombres, où se déploie l’harmonie silencieuse des lignes et des plans, travaillés à la façon d’un paysagiste, selon une esthétique peut-être plus proche de la peinture que de la photographie si l’on entend cette dernière comme un art de l’instant. Chaque photo semble lentement advenir, au terme d’une forme d’imprégnation où la Loire n’a pas même besoin d’être forcément présente à l’image pour l’habiter. Habiter : c’est peut-être en définitive le maître-mot de la pratique de Thibaut Cuisset, dont les photos, souvent vides de toute présence humaine, sont autant de témoins de la façon dont l’homme habite le monde et s’accorde à certain paysage. Le silence s’emplit alors de ce que Jean-Christophe Bailly, dans Le Dépaysement, nommait « la ritournelle », cet étrange et indéfinissable sentiment d’appartenance qui nous saisit parfois. Ces photos ne sont pas vides : nous y sommes.

Yann Fastier