Le 30 juillet 1997, Tony Blair, travailliste, fraîchement élu après des années de gouvernance conservatrice Thatcher/Major, invite Noel Gallagher au 10 Downing Street.

 

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Ce jour, selon Benjamin Durand et Nico Prat, marque la revanche des ploucs. Les ploucs ? Oasis. Leur revanche sur quoi ? C’est que les auteurs détaillent par le menu dans ce traité limpide et très documenté.

Oasis, ou Comment, quand on est un groupe de prolos pur jus issu de Burnage, banlieue de Manchester, parvient-on à symboliser la Britpop, détrônant Pulp, Suede ou Blur en haut des charts, au point que Blair vous considère comme des alliés dans la mise en place de son New Labour, voit en vous l’incarnation musicale de ce qu’il représente lui-même en politique, la notion de Cool Britannia ?

Faut reconnaître que pour les frères Gallagher, c’était pas gagné. Et si revanche il y a bien eu, elle est de plusieurs types. Sociale, tout d’abord. Origines irlandaises, milieu défavorisé avec père alcoolo à la main leste, les deux frangins partaient avec des handicaps dont ils ont su faire des atouts. L’Angleterre populaire, souvent ostracisée par l’élite londonienne, a eu tôt fait de se reconnaître dans ces héros venus du nord à l’accent à couper au couteau. Eux, contrairement à leurs concurrents de Top of the Pops, n’avaient pas fait d’études mais de la musique pour s’extraire de leur condition, comme d’autres font du foot, avec la dalle. Revanche géographique donc, et musicale aussi. Sur les 80’s et les synthés, sur le grunge venus des Etats-Unis, pour reprendre le flambeau des grands anciens, ceux des 60’s, écrire des mélodies accessibles, entêtantes, des refrains qu’on entonne dans les stades et les pubs, et tant pis si certains n’y entendent que du sous-Beatles. Revanche politique évidemment, jusqu’à prendre les traits de l’Anglais emblématique de ces années-là, fier et décomplexé.

La revanche est paradoxale néanmoins, ainsi que le soulignent Durand et Prat, à l’image de la personnalité complexe des leaders d’Oasis, qui réussirent à remplir les salles, gagner plein de pognon en continuant à revendiquer leurs origines ouvrières et mancuniennes, tout en répétant à l’envi le désir de quitter cette ville trop naze. Finir par côtoyer le gratin politicien en prétendant incarner le peuple et refuser tout compromis, n’est pas la moindre des contradictions.

Revanche éphémère, amère, enfin. Leur apogée fut de courte durée. 1997 marquant la fin de la britpop, et les dissensions entre Noel et Liam les menant jusqu’au point de rupture. What goes up must come down.

Le texte est court, concis, parfaitement mené, bien écrit. En choisissant des éléments biographiques significatifs plutôt que d’insister sur les frasques des Gallagher, le propos gagne en profondeur. Cette revanche des ploucs, s’attardant plus sur le contexte socio-économique que sur une analyse psy version tabloïd, montre combien l’ascension d’Oasis, arrogante, déconcertante, énervante, reflète une part intime de l’histoire anglaise, et nous livre quelques clés pour comprendre par là-même, un peu mieux, nos voisins d’Outre-Manche, nos ennemis préférés.

Marianne Peyronnet