On se souvient du beau succès de Tokyo Vice, première parution des éditions Marchialy en 2016.

 

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Spécialisés dans la Creative nonfiction, dans la publication « d’histoires vraies au long cours, portées par une exigence littéraire », leur catalogue s’est depuis enrichi d’une dizaine de titres. Attends-moi au ciel, Capitaine s’intègre parfaitement dans leur ligne éditoriale originale, soutenue par des livres travaillés avec soin, tant sur le fond que sur la forme.

Jorge Enrique Botero est un journaliste colombien spécialiste des FARC. Pour avoir étudié des années leur idéologie, les avoir suivis dans la jungle au plus près des combats contre l’armée régulière, il connaît intimement leur histoire et leurs aspirations. Dans Attends-moi au ciel, Capitaine, il prend de la distance en nous présentant un personnage à l’opposé de l’esprit guerrier qui les anime, un être qui se retrouve en pleine guérilla sans en comprendre les règles et les enjeux. Manzana est un jeune homosexuel, forcé de rejoindre l’armée par un père autoritaire qui ne supporte pas cette tare dont souffre son fils, d’autant que ce dernier s’affiche attifé d’atours féminins dès qu’il le peut. Un fils mort vaut mieux qu’un fils pédé.

Manzana se prend la guerre de plein fouet. Il ne sait pas tenir un fusil et survit malgré tout, tandis qu’autour de lui ses compagnons d’arme tombent comme à Verdun. Sa division, constituée de vingt-trois hommes, est capturée par les FARC et ils ne sauvent leurs têtes que parce qu’ils pourraient bien servir de monnaie d’échange entre prisonniers des camps opposés. Parmi eux figure le Capitaine, dont Manzana tombe éperdument amoureux. C’est durant cette attente fébrile, faite de privations, de coups, de tension extrême, que le journaliste Fuentes entend parler d’un mystérieux jeune homosexuel et qu’il décide de partir à sa recherche.

Le récit de Botero s’incarne donc à travers deux personnages, deux voix, celle de Manzana, au cœur de la guérilla, et celle de Fuentes qui suit ses traces. Et la force de ce livre, court et intense, tient justement à la juxtaposition des ces deux points de vue, alternant entre les écrits de l’expert, au courant des méthodes et des négociations qui se trament, mais loin des combats, et les descriptions de celui qui, au cœur des batailles, raconte l’horreur. L’Histoire colombienne s’inscrit en filigrane, sert de décor au chaos. Sorte de Candide, d’enfant désespéré perdu au sein d’hommes aguerris, habitués à la violence, Manzana prend les traits de l’observateur impuissant, subissant, survivant à l’absurdité de son environnement, et finissant par incarner, dans une dimension qui le dépasse, une image plus vaste, un archétype de l’innocence et du courage. Manzana oppose aux exactions des deux parties l’amour désespéré, douloureux, absolu qu’il éprouve pour le Capitaine. Malgré les humiliations, les sévices, il ne se renie jamais, il ne renonce pas à aimer, jusqu’au bout. Il est déchirant et pur comme dans les grands romans d’amour.

Par ce choix de cette littérature du réel, au détriment d’un reportage plus documentaire, Botero évite les explications, se permet les ellipses, préfère l’exploration des sentiments à la pédagogie. Et il fait mouche.

Marianne Peyronnet