Les familiers de l’œuvre d’Henri Bosco reconnaissent dans le Luberon l’un de ces hauts lieux dont la littérature a fait son terrain de jeu,
à l’égal de l’Ardenne d’André Dhôtel et de la Lotharingie de Jean-Claude Pirotte. Lieux entièrement imaginaires, bien entendu, dont la visite effective n’apporte le plus souvent qu’amères désillusions. C’est particulièrement le cas du Luberon, depuis longtemps colonisé par les riches, où l’on peine à retrouver quoi que ce soit de l’émerveillement que procurait la lecture de L’âne culotte et de Hyacinte. Il résiste, pourtant, de toute la force de ses vieux calcaires et, même tavelé de villas, même parcouru de 4X4, parle encore au rêveur cette belle langue d’eau rare et de vent qui, depuis Le Sanglier, l’a mis hors du temps, sous la protection des poètes.
Le dit du Mistral est le récit de cette lutte.
Cela commence par un orage. La pluie provoque un éboulement dans le champ de monsieur Sécaillat, voisin du narrateur. Des tessons de poterie sont mis à jour. En toute illégalité, les deux compères dégagent de nombreux vestiges de ce qui ressemble à de longues trompes de terre cuite et, surtout, l’effigie sculptée d’une femme qui s’avère veiller sur une antique source gauloise. « Ici, l’eau est d’or », et la source devient d’autant plus précieuse qu’elle provoque chez le narrateur d’étranges prémonitions, qui le relient directement à la mémoire de la montagne, tributaire du Mistral, ce terrible joueur descendu du Ventoux. Mais voilà que les autorités s’en mêlent, la source risque d’être découverte, monsieur Sécaillat songe à l’occulter…
Olivier Mak-Bouchard, dont c’est là le premier roman, a paraît-il grandi dans le Luberon. On lui prêtera donc des connexions particulières, des accointances avec ce bout de montagne, une sensibilité vernaculaire qui, d’entrée de jeu, exempte la Provence de son fardeau de lavande, de pétanque et de pastaga. La sienne est toute de rocaille et de vent, le gel y peut faire craquer les pierres et la pluie, en un instant, transforme un « petit rataillon (…) en fleuve Amazone, aussi large que violent. » Le Mistral y est aimable quand il veut jouer mais, selon qu’il souffle trois, six ou neuf jours, se change en « rebrousse-chapeau », « mistralas » ou bien « voix de tempête » à retourner les portières. En un mot, sa Provence est légendaire, comme l’était celle de Bosco, de Giono, de ce Joseph d’Arbaud qu’il ne cite pas mais dont la Bête a manifestement quitté le Vaccarès pour hanter les falaises du Luberon.
Cependant, la force principale de ce roman, c’est qu’il n’essaye pas d’imiter ses modèles. Ni le style épique de Giono, ni le classicisme de Bosco ne sont ici pastichés. À l’inverse d’un Marc Graciano, par exemple, Olivier Mak-Bouchard ne cherche pas à inventer une langue atemporelle, dont les scansions et les nobles tournures seraient porteuses de mythe. La sienne est résolument familière, banale et n’habite pas une vieille maison. Fait-il appel à la tradition ? c’est avec la bonhomie sans apprêt de qui vous en conte une bien bonne au passage. C’est peut-être ce ton résolument « classe moyenne » qui donne au roman son aspect le plus marquant, lorsque s’y invitent les forces sauvages, chtoniennes, déclenchées par la découverte de la source. Contraste saisissant, du blanc au noir que, plus qu’aucun autre personnage, incarne le Hussard, ce chat omniprésent comme un retour du refoulé, toujours là au bon moment, gardien baladeur et taiseux d’une montagne en mal de dieux.
La magie est toujours là, sous-jacente à notre monde prosaïque, et tout le talent d’Olivier Mak-Bouchard est de parvenir à relier pleinement ces deux mondes sans en faire des caisses. Sans en rajouter dans l’élégie – devenue lassante à force de « nature writing » obligatoire – il s’inscrit, avec tout le naturel d’un habitant de ces lieux, comme l’héritier légitime des écrivains qu’il admire.
Yann Fastier