Dans un village-vacances, près d’un loch en Ecosse, il pleut.
Les touristes ont peu d’occasions de sortir de leurs bungalows, avec ce temps de chien. Pour tromper leur ennui, ils observent leurs voisins.
Justine passe en courant devant les fenêtres d’un couple de retraités, trempée comme une soupe. Elle est pas un peu dingue, celle-là ? Jugée à la va-vite par le vieil habitué des lieux, qui regrette le bon temps où les gens qui louaient ici étaient respectables, de leur classe sociale, la joggeuse risque l’arrêt cardiaque mais savoure le seul moment de liberté qu’elle s’accorde, entre un mari bas du front et deux gosses agités. Lola et Jack, eux, gamins sommés d’aller prendre l’air, convoitent la balançoire dont profite une petite raclure des pays de l’est. Quoi de plus naturel que de la traiter de « babouin » ? Tandis qu’Izzie se demande si elle va prendre un bain ou récurer le gîte de fond en comble…
Les personnages se succèdent à travers de courts chapitres proches de nouvelles. Sarah Moss se focalise tour à tour sur les différents résidents, en temps réel, au présent toujours, afin de mieux exprimer leurs pensées, adopter leurs points de vue. De cette intimité, elle fait naître un microcosme, une sorte de vase clos où chacun, comme enfermé, se livre. Josh et Milly tentent d’atteindre un orgasme simultané ? Si la situation est cocasse, décalée, elle prête franchement à rire lorsque l’auteure, se plaçant dans la tête de la jeune femme se concentre plus sur la faim qui la taraude et sur l’acteur de sa série télé préférée plutôt que sur son fiancé. Les corps, les secrets sont mis à nu, les personnages se pensant à l’abri de tout voyeurisme. Le résultat est drôle ou sinistre selon les cas. Jamais ennuyeux en tout cas, dans cette société passée au microscope, où chacun prend des allures de métaphore. Le vieux con, l’ado que tout ennuie, les gamins turbulents deviennent emblématiques de leur âge et des stéréotypes qui vont avec, de même que le raciste, le bougon, la frustrée. Chacun vit à côté des autres, chaque bungalow étant une protection contre les agressions que représentent ces autres, ces étrangers, qu’ils soient anglais, ou venus d’ailleurs, tels ces Ukrainiens qui poussent tout le monde à bout avec leur musique de dingues. Sarah Moss souligne l’animalité des humains présents sur le site, représentatifs de leur condition même, de la nôtre, en alternant ses chapitres de textes consacrés aux animaux du coin, et leurs façons de réagir face à ces créatures qui colonisent leur territoire.
L’histoire aurait pu n’avoir pas de chute, continuer le temps de ces vacances sous ce ciel plombé. L’auteure a préféré écrire une fin à son récit, sous la forme d’un accident, d’un danger surgissant de la routine en place et permettant aux individus présents de se rendre compte qu’il suffit de partager un espace, un drame, pour faire communauté.
La morale de l’histoire pourrait être d’éviter de juger un peu trop rapidement nos semblables. C’est ce que nous rappelle Sarah Moss en revenant lors de plusieurs épisodes sur ses créatures, nous faisant modifier nos a priori sur leur compte. Ne serions-nous pas, tous, de sinistres sires, cyniques et méprisables, si nous n’étions jugés que sur nos pensées et non pas sur nos paroles et sur nos actes ?
Marianne Peyronnet