Dominique Manotti n’a pas son pareil pour gratter là où ça fait (encore) mal,
exciter des plaies que l’on voulait cicatrisées, en extraire les croûtes et libérer le sang. Ses sujets sont comme d’anciennes blessures, anodines en apparence mais qui, négligées, ne guérissent pas et vous fichent la gangrène.
Marseille, 73, donc.
En 72, une circulaire ministérielle, dite Marcellin-Fontanet, exige des travailleurs immigrés, Algériens principalement, qu’ils aient un contrat de travail et un logement décent pour pouvoir demeurer en France. Du jour au lendemain, des centaines d’entre eux basculent dans la clandestinité. Dans le Sud de la France, les groupuscules d’extrême droite, Ordre Nouveau en tête, en profitent pour dénoncer l’immigration de masse, cette invasion qui menace l’emploi et le mode de vie de leurs compatriotes. La chasse aux Arabes, qui osent réclamer leur régularisation, est ouverte.
En 73, à Marseille, les maghrébins tombent comme des mouches. Ce n’est pas une invention de l’auteure mais le point de départ véridique dont elle se sert comme base de son récit. Une cinquantaine d’entre eux se retrouve dans la rubrique des faits divers. Noyés, tombés, écrasés. Meurtres ? Attentats racistes ? Allons donc, plutôt des règlements de compte, la France n’est pas raciste ! Il suffit pour s’en convaincre, de lire les (vraies) Unes des quotidiens locaux… N’empêche. Quand le commissaire Daquin, dont ce n’est ici que la deuxième enquête dans ce coin qu’il connaît mal, s’intéresse au décès du jeune Malek, 16 ans, abattu de sang-froid, comme pour faire un carton ou un exemple et qu’il constate que personne ne se soucie de lui rendre justice, il prend l’affaire en main et ne la lâchera plus.
En 73, la situation politique en France est des plus tendues. La guerre d’Algérie s’est finie hier et le conflit s’est déplacé dans l’hexagone. Les membres de l’OAS ont été amnistiés, les flics à l’œuvre là-bas se retrouvent intégrés dans la police ici, même les pires. Marseille focalise toutes ces tensions. La violence s’expose au grand jour. Pieds noirs, corses, harkis fricotent avec les mouvements d’extrême droite, dont le tout nouveau front national, le SAC commence à faire parler de lui, le gouvernement Pompidou est obligé de négocier avec Boumedienne pour le pétrole et les essais nucléaires, alors le sort de quelques bicots…. L’heure est à l’idée de remigration par la terreur, et bien peu apportent leur soutien aux immigrés des quartiers nord.
L’enquête progresse au présent, au jour le jour. Les mots de Manotti, secs, précis, sont des armes, non pas au service d’une cause, mais pour lutter contre l’oubli et mieux comprendre le présent.
Marianne Peyronnet