Qu’on ait ou non le pied marin, le bateau reste à coup sûr l’un des plus puissants vecteurs de l’imagination littéraire.

 

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À l’instar de la cabane, avec laquelle il partage nombre de caractéristiques, il est depuis longtemps l’habitacle de toutes les rêveries, le véhicule onirique préféré de toute espèce d’aventurier en chambre ayant pris Mac Orlan pour matelot. Riche idée, dès lors, de poursuivre la tâche initiée par Homère avec le fameux « catalogue des vaisseaux » de l’Iliade en rassemblant dans un petit volume érudit la quasi-totalité des coques de fer ou de bois nous ayant un jour ou l’autre transportés sur des mers de papier. De L’Ange-du-Nord du Chant de l’équipage à la Yorikke du Vaisseau des morts de B. Traven, ils sont tous là, sagement rangés bord à bord, avec leurs caractéristiques et leur histoire, attachante flotte de vaisseaux fantômes dont les noms, bien souvent, résonnent comme une promesse pour peu qu’on n’ait pas lu le livre (duquel l’auteur donne un résumé complet – au grand dam du lecteur qui ne commence pas les romans par la fin). Bien sûr, il s’en trouvera toujours pour regretter telle ou telle absence (le Parangon et autres « vivenefs » des Aventuriers de la mer de Robin Hobb ou bien le Hakkō-maru, le Bateau-usine de Takiji Kobayashi !) : après tout, si exhaustif qu’il se veuille, un catalogue reste toujours un choix, le fruit d’un cabotage personnel dont l’ordre sagement alphabétique des entrées ne cache pas toujours les itinéraires, où se dessinent en filigrane préférences et rebonds d’un auteur à l’autre, chez lequel on s’embarque même souvent avec un brevet délivré par le précédent. Cette volonté manifeste de ne plus toucher terre en prolongeant une aventure commencée dès l’enfance, c’est peut-être ce qui fait tout le prix de ce livre empli de désir et le rend, en définitive, aussi glorieusement, aussi parfaitement indispensable qu’inutile.

Yann Fastier