Colombie.

 

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Après une guerre civile sanglante qui a vu s’affronter différents groupes armés, de tous les camps surtout extrêmes, l’heure est à la réconciliation nationale, à la pacification. La reddition des guérilleros, FARC, EPL, AUC…, se monnaye contre une amnistie totale, les négociations entre politiques et narcos doivent conduire à la fin des violences. Le pays en rêve. Le processus en cours permettra à tous d’accéder à une certaine sécurité, à l’apaisement des tensions, au pardon, à l’oubli. Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes à venir ? Evidemment pas. Caryl Férey n’a pas pour habitude de nous livrer des feel good books, et s’il est bien question de paix ici, elle n’est que dans le titre.

Pour explorer les dissensions à l’oeuvre dans cette terre exsangue, c’est toujours par le truchement de personnages forts qu’il fait entrevoir le chaos. Mais cette fois, en plus d’histoires d’amour dont il a le secret, Férey décide de décortiquer les relations dans une famille, comme symboles des luttes intestines nationales. Et de tripes, il est sans nul doute question. Celles des victimes, arrachées comme leurs têtes ou leurs membres par des trafiquants ou des factions armées, alimentant charniers à ciel ouvert ou recouvrant les sols de caves sordides de Bogota. L’enfer n’épargne personne et chacun des groupuscules rivalise d’ingéniosité pour démontrer sa force. Des tripes, il en aura fallu à l’auteur aussi pour se plonger dans un tel bain de sang, d’autant qu’il nous avertit avoir plus amoindri qu’amplifié la barbarie de certaines scènes. Des tripes bien accrochées, il en faut enfin au lecteur pour suivre, dans la jungle ou les taudis, le parcours de l’horreur subie par les protagonistes. C’est là tout le talent de Férey, nous accrocher par un récit haletant, nous porter au-delà de l’enfer.

Par l’incarnation, réaliste, transcendante, nuancée. Les luttes internes au sein de la famille Bagader trouvent un écho dans les déchirements intérieurs qui animent chacun de ses membres. Rien n’est tranché. Les deux frères ennemis portent en eux des zones d’ombre et de lumière. L’intrigue se fait shakespearienne, avec son lot de mensonges, de trahisons, d’enjeux qui dépassent les simples hommes et femmes en présence.

Par la langue, efficace, somptueuse. L’écriture, poésie noire dans Mapuche, prend ici des accents lyriques. Mais Paz n’est pas que le théâtre d’atrocités. L’amour, qu’il s’adresse à un chien bancal ou à des personnages féminins touchants incapables de renoncer, l’héroïsme d’actions désintéressées et l’espoir sont bien présents et nous permettent de comprendre, un peu mieux, et surtout d’affronter l’insupportable.

Marianne Peyronnet