Dès le chapitre introductif, écrit au présent et à la première personne, on sait qu’un personnage est en errance.

 

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Puis, le narrateur raconte, au passé cette fois, les événements qui ont mené à ce que l’on pressent comme une grande catastrophe. Le procédé, habile, court tout au long du roman, accentuant la tension.

C’est Daniel qui parle. Il est le fils de John Smythe. Il a quatorze ans et vit dans le Yorkshire, avec sa soeur Cathy, son aînée d’un an, et son père. A la mort de leur grand-mère, ils ont atterri dans ce coin de campagne où vivait leur mère, disparue depuis des années.

John a choisi de les couper du monde, de les tenir éloignés de son passé. Dans une maison construite de leurs mains, ils mènent une existence austère mais tranquille. Les enfants ont appris à chasser, couper le bois dont ils ont besoin pour se chauffer. Outre cette éducation quelque peu survivaliste, ils bénéficient de quelques cours dispensés par une voisine, ancienne amie de leur père, demeurant à quelques kilomètres. John se sert de ses poings, à l’occasion, lors de combats illicites, ainsi qu’il le faisait autrefois, pour gagner un peu de monnaie. John est un géant. Il est taiseux mais ses gosses n’ont pas besoin de mots pour savoir qu’il les aime. Tous les trois n’ont besoin de rien d’autre. Le temps est suspendu. Tout pourrait continuer ainsi mais Mr Price, le propriétaire des terres où ils ont élu domicile, vient se rappeler à leur bon souvenir, provoquant le basculement. Une ombre au tableau. Cette vieille connaissance cherche à les déloger. Price est l’inverse de John. Fortuné, profiteur, arrogant, il ne pense qu’à l’argent, qu’il accumule en faisant payer des loyers exorbitants à tous ses locataires. Obligés de se loger dans l’une des nombreuses habitations qu’il possède, les pauvres bougres, le plus souvent à son service comme travailleurs journaliers, crèvent la faim. John décide de se battre et commence à semer le grain de la révolte chez ses compagnons d’infortune. Il est sur le point de parvenir à les fédérer quand survient le drame.

La violence monte crescendo, soutenue par une structure parfaite, jusqu’à la scène finale, dans un déchainement d’horreur qu’on n’osait pas imaginer. Si l’on sait que les gentils gagnent rarement à la fin, on n’en est pas moins bouleversés. Le choix de Daniel pour nous conter l’histoire est une belle trouvaille. Délicat, tandis que sa soeur semble plus brutale et surtout moins naïve, il décrit son environnement avec une sensibilité touchante. La nature qui l’entoure le fascine. Il fait corps avec elle, les arbres sont sa poésie. Il n’en est pas encore à l’âge des remises en cause, il ne questionne pas les choix de son père, donc le lecteur non plus. S’il souffre un peu du froid et de l’isolement, on le devine moins meurtri que Cathy de son passage parmi les hommes. Il est en paix.

Fiona Mozley nous décrit un retour aux sources presque réussi. L’atmosphère, sans être idyllique, est harmonieuse. Ses personnages respectent leur environnement. Ils ne le saccagent pas, s’y intègrent sans en gaspiller les fruits. Ils mènent une existence ascétique mais paisible, proche d’une sagesse rousseauiste. Elle laisse assez de zones d’ombre pour que le lecteur remplisse à sa guise les blancs dans le passé de John, qu’on connaît peu mais qu’on devine tumultueux. Elle en dresse le portrait d’un homme qui a trop souffert pour imposer la violence du monde à ses enfants. John est en quête de rédemption, en voie vers une utopie. Quand cet ogre misanthrope se rapproche de ses semblables pour les mener à la révolte, on entrevoit une société idéale qui se dessine. ça n’en donne que plus de force à la terrible fin.

Dans cet Elmet, ce petit bout de terre, « dernier royaume celtique indépendant d’Angleterre » (…) « sanctuaire pour ceux qui souhaitaient échapper à la loi », John croyait pouvoir instaurer une nouvelle justice, après la fin de l’ancien monde. Mozley nous rappelle avec douleur que les rêves sont faits pour être brisés.

Marianne Peyronnet