Traduit pour la première fois sous le titre Septembre en noir et blanc (Denoël, 1981, puis 10-18, 1984),

 

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le dernier roman de Shelby Foote (1916-2005) reparaît aujourd’hui dans La Noire dans une traduction révisée et sous son titre original. De septembre à septembre : de septembre 1957, où se situe le récit à septembre 1978, où il fut publié, soit vingt ans, une jeunesse donc, qui pourrait être celle du mouvement pour les droits civiques des Noirs, dont les événements de Little Rock furent l’un des socles fondateurs. Rappelons les faits : à la rentrée 1957, Orval Faubus, gouverneur démocrate de l’Arkansas, s’oppose manu militari à la déségrégation du lycée de Little Rock où doivent être scolarisés neuf jeunes Noirs. Soutenue par une bonne partie de la population blanche, sa décision amène le gouvernement fédéral à faire intervenir l’armée pour protéger les élèves dans un climat de quasi guerre civile dont les Noirs, comme d’habitude, font les frais.

Dans l’État voisin, à Memphis, un trio de petits délinquants blancs entend bien en profiter : dans ce climat tendu, les parents du petit garçon noir qu’ils projettent d’enlever casqueront sans faire d’histoires. En apparence, Podjo, Rufus et Reeny ont réussi leur coup : le plan se déroule comme sur des roulettes et la famille, méfiante, préfère ne pas avoir affaire à une police toujours susceptible de racisme. La somme est réunie, l’argent versé, le garçon rendu… jusqu’à l’inévitable grain de sable qui fera bouger les lignes de part et d’autre.

On l’aura deviné, September september n’est pas un livre à suspense et s’il emprunte tous les codes du hard boiled à la Goodis, la violence y est remarquablement absente. Le seul flingue de l’histoire dormira sagement sous une pile de linge et aucun des protagonistes ne peut vraiment prétendre incarner le Mal. Plutôt la déveine : celle qui poursuit Podjo, joueur malchanceux, pourtant le plus rassis de la bande, mais aussi Rufus, un chien fou qui pense avec sa bite et même Reeny, vieillissante et un peu paumée, qui s’attache au petit Teddy au point de regretter de le rendre. Lui ne se rendra compte de rien, maintenu dans un coaltar permanent sous la protection attentive de Reeny (« Alors maintenant, c’est toi ma maman ? »). Tout se joue plutôt du côté des parents. Eben, le père, même s’il sait « (…) de quel côté son pain est beurré » est sous l’entière domination de son beau-père, Theo G. Wiggins, membre éminent d’une bourgeoisie noire qui a su faire sa pelote en louvoyant avec les Blancs : « Ce qu’il faut faire (…) c’est se tailler une place en bossant dur dans la société telle qu’elle est, de façon à avoir une voiture à soi. Alors on ne pense plus aux bus et encore moins à les utiliser. » Son impuissance face à l’enlèvement – c’est l’argent de son beau-père qui l’aura provoqué et y mettra fin –, l’impossibilité pour un Noir de simplement faire face, le conduira à s’opposer enfin à ce tyran qui l’a choisi pour sa fille et pour sa peau claire et le mènera sur les chemins d’une solidarité communautaire qu’il refusait jusqu’ici d’admettre. Même riche, un Noir est susceptible d’être la victime désignée d’un Blanc – même pauvre. La hiérarchie de l’argent s’efface devant celle – autoproclamée – de la race et September september est le récit, ironique et politique, de cette prise de conscience. Après la récente traduction de Shiloh (Rivages, 2019), Shelby Foote fait une fois encore et sans en avoir l’air la part belle à l’historien qu’il fut avant tout : titres de journaux et programmes télévisés ne créent pas seulement un effet de réel, ils sont encore un trait d’union entre victimes et ravisseurs, véritables jalons d’un récit à la temporalité morcelée, qui, alternant récits personnels et « objectifs » pourrait bien s’avérer une manière particulièrement efficace d’écrire l’Histoire.

Yann Fastier