2014. Ukraine.

 

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La révolution de Maïdan conduit à la destitution du président en exercice et à l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement pro-européen. Dans la région du Donbass, région minière et industrielle de l’est, les manifestations « antimaïdans » et anti-européennes soutenues militairement par la Russie, évoluent en insurrection armée contre le gouvernement ukrainien. Cette insurrection armée devient séparatiste. Le conflit entre l'armée ukrainienne et l'armée séparatiste pro-russe n’a pas cessé depuis.

Avdiïvka, proche de la ligne de front, d’abord prise par les insurgés puis reconquise par l’armée ukrainienne au prix de milliers d’hommes, est la ville symbole de cette guerre figée qui déchire la région.

C’est là que Benoît Viktine situe l’action de son roman.

2018. Henrik Kavadze est le chef de la police locale. En 2014, il a préféré démissionner plutôt que soutenir les séparatistes. Cette prise de position lui a valu d’être nommé colonel quand il a repris ses fonctions. Malgré cette distinction, il ne se fait pas d’illusion. Le vrai pouvoir est aux mains des militaires, omniprésents dans la zone. Quant à ses collègues, ils préfèrent traficoter plutôt que régler les problèmes. De toute façon, il n’y a pas besoin de mener des enquêtes pour savoir de quoi on meurt dans le coin. Bombardements, tirs de mortier, armes automatiques… C’est la guerre qui avance, recule, au rythme des offensives et contre offensives d’un camp ou l’autre, c’est elle l’assassin. Mais lorsqu’on retrouve le corps poignardé d’un petit garçon près de la cokerie, il faut se rendre à l’évidence, cette fois il y a bien eu quelqu’un de chair et d’os pour perpétrer ce crime odieux.

Correspondant du Monde à Moscou, prix Albert Londres de la presse écrite en 2019, Vitkine maîtrise le sujet (comment en douter ?). Il lui fallait prouver son aptitude à troquer sa plume de journaliste contre celle d’écrivain, tenir la distance et embarquer le lecteur dans une histoire crédible, sensible sans l’assommer sous les informations, lui faire découvrir les enjeux géopolitiques, sans donner une leçon. L’exercice était périlleux. Il est parfaitement réussi. Ou L’art de faire de ses connaissances une œuvre d’art.

C’est donc par l’émotion qu’il nous fait ressentir le Donbass, en multipliant les points de vue, en créant des personnages complexes, en disant la vie quotidienne, les peurs, à travers les yeux d’un enfant, d’une veuve, d’un vétéran, d’une prostituée, d’une mère éplorée, d’un flic enfin qui a tant vu d’horreurs qu’il pensait ne pouvoir plus rien ressentir jusqu’à ce que des meurtres de gosses réveillent chez lui une ultime envie de se battre.

Henrik est déterminé, mais il a ses failles sous formes de souvenirs, ceux de sa fille disparue et de l’Afghanistan où il a combattu. Par petites touches, au travers d’anecdotes, au cours des discussions qu’il mène pour son enquête, il se révèle autant qu’il expose les maux dont souffre son monde, corruption, trafic, drogues…

Comme le Donbass, Henrik est cabossé, déboussolé. Les cicatrices du passé sont toujours visibles et douloureuses, telles les maisons en ruine détruites par les obus. Le présent est une question de survie. L’avenir incertain. Et le lecteur, par empathie, comprend.

Marianne Peyronnet