Bennett, une jeune et jolie célibataire, tient un petit bar dans un quartier populaire de Londres.

 

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Débordée, elle peine à tenir la grande maison dont elle a hérité et passe une annonce pour engager une bonne. La seule à se présenter sera la toute jeune Shirley, ce dont Bennett n’aura pas à se plaindre et nous non plus tant la combinaison s’avère délectable.

Faut-il donc être atteint du syndrome de Matzneff compliqué d’un sérieux complexe de Nabokov  pour s’éprendre ainsi d’une petite bonne de 13 ans ? La question ne laisse pas de troubler le mâle quinquagénaire que nous sommes tous plus ou moins. Elle est pourtant sans fondement : le kizuna, auquel Shirley se rattache, est un sous-genre du manga qui désigne précisément des histoires transcendant toute notion d’âge et faisant état, stricto sensu, de « liens entre des personnes ». C’est précisément de cela qu’il s’agit, et de rien d’autre : de ce qui unit l’infatigable petite bonne à sa très bienveillante maîtresse, liens tissés de tendresse et de respect au fil de courtes histoires sans mélo ni drame, au quotidien de ces deux-là dans une Angleterre édouardienne à la fois soigneusement documentée et complètement fantasmée. Il serait donc au fond beaucoup plus suspect de ne pas succomber au charme de cette nouvelle mini-série de Kaoru Mori. Shirley est fait(e) pour être adorable, émouvant(e) comme l’était déjà Emma, sa cousine à lunettes, et comme le sont encore les Bride stories d’une autrice qui n’a jamais caché ses amours ancillaires. Certes, la réalité n’a jamais été si rose et Kaoru Mori prend un peu ses désirs pour des réalités, mais c’est sans importance. Le manga est un pays de cocagne où le réel n’a pas forcément cours. Avec Shirley, Kaoru Mori, mieux encore qu’avec Emma, plus complexe, définit l’espace idéal où déployer sa passion et, surtout, la rendre contagieuse. Hors fétichisme personnel, elle met d’abord en jeu les notions de dévouement et de servitude librement consentie. Entièrement acquise à sa maîtresse, Shirley est une sorte de petite esclave volontaire que ne travaille aucune dialectique hegelienne – au point de ne savoir quoi faire de ses gages ! Satisfaite de son sort, elle ne redoute que de voir bousculer les lignes rassurantes d’une situation qui donne sens à sa vie. Et le lecteur avec elle : que jamais Shirley ne grandisse ni ne tombe amoureuse ! On en voudrait à l’auteure d’un tel contresens, quand la série s’épanouit à l’évidence dans la seule variation, au sens musical du terme. Avec la rondeur et la légèreté d’une bulle, elle tourne sur elle-même, non pas tant répétée que réitérée à chacune des histoires minuscules et sensibles qui la composent. Une fée du logis reste une fée et Shirley, donc, un conte de fée, petit univers clos sur lui-même, protégé, à l’écart de l’Histoire comme de toute enquête sociale. A la façon d’un conte, on a choisi d’y croire et d’habiter Shirley, comme on habite une maison aimée, modeste mais confortable. De vieux saligauds saliveront peut-être sur la brunette, ses tabliers et ses jupons… Les autres, dont nous sommes, empoigneront seaux et balais avant de prendre un thé bien mérité.

Yann Fastier