Quand j’avais lu l’autobiographie de Richard Hell, I Dreamed I Was a Very Clean Tramp,
j’avais été frappée par certains passages très forts où il évoquait la passion qu’il avait vécue avec une petite Française, débarquée de nulle part, et qui avait conquis le microcosme underground new-yorkais en 1976. Cet amour, durable, allait imprégner son existence au point d’en faire le point central de son roman, L’œil du lézard. Si le nom de Lizzy Mercier Descloux m’évoquait bien un souvenir diffus, il restait lié à la réminiscence d’un clip échappé des 80’s, un tube éphémère, où une jolie fille dansait sur une plage en se demandant : « Mais où sont passées les gazelles ? » Image fugace, figure intrigante… Ma curiosité était piquée et ne demandait qu’à être assouvie. C’est chose faite grâce au livre de Simon Clair, parti lui-même à la recherche de Lizzy. Particulièrement bien documenté et rédigé d’une élégante plume, son ouvrage s’attache à rendre sa juste place à cette éclipse qui serait restée sans lui une simple muse, une personnalité extravagante mais peu créative. Née en 1956, élevée par ses grand-oncle et tante, dans le quartier des Halles, à Paris, Martine Elisabeth se plaît très tôt en compagnie des rockers et fanzineux qui peuplent son coin. Michel Esteban y tient le magasin de disques Harry Cover. Il est à l’affût de ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique. C’est avec lui, son amoureux, qu’elle atterrit à New York, fin 75. La Grosse Pomme est autant en déliquescence qu’en effervescence. Il est aussi facile de s’y loger pour pas cher que d’y croiser ces marginaux qui composent l’élite artistique du moment. Le CBGB est à deux pas du loft du couple. Patti Smith, les Ramones, Suicide ou Television y appellent sur scène à la révolte et à la liberté. Parlant deux mots d’anglais, Lizzy, énigmatique avec son look ébouriffé, se fait vite adopter. Et elle ne se contente pas de regarder ni de laisser exploser sa sexualité libérée dans les bras de son Richard et quelques autres. Rapidement, elle s’achète une guitare et devient une figure du No Wave, inspirée par le courant bruitiste de Lou Reed initié avec Metal Machine Music. Press Color, son premier LP, sort en 79. Comme elle, il est rêche, sans concession, inclassable, invendable. Lizzy ne recherche pas la célébrité, elle aime les sons nouveaux, les mélanges, mixer disco et rock, s’approcher au plus près des sonorités et des rythmiques de l’afrobeat. En 81, les drogues dures, le sida, la compétition induite par le fric des majors, ont rendu NY irrespirable. Elle s’envole pour les Bahamas et y enregistre Mambo Nassau, où se mêlent mélodies caribéennes, rythmes africains, disco, no wave. En 83, bien avant l’explosion de la World music, l’Afrique l’appelle. Après un long périple d’immersion, elle se pose à Johannesburg, en plein apartheid. Elle y enregistre Zulu Rock. Cet album, déclaration d’amour au métissage culturel, fait de jam-sessions et de reprises de Sowetojive, où Lizzy pose sa voix sur des textes adaptés en français, remporte un franc succès, en France surtout, où l’on célèbre sa volonté de faire découvrir la musique africaine, son esprit fraternel, jusqu’à ce qu’on apprenne que les musiciens sud-africains n’ont pas été correctement crédités en termes de droits d’auteur… Stupeur, retournement, accusations de soutenir l’apartheid, la vie de Lizzy sombre. Elle buvait beaucoup, elle ne fait plus que cela. Elle qui s’échappait souvent du monde s’en écarte de plus en plus. Après quelques albums moins inspirés, elle disparaît. Au début des 90’s, elle vit seule, ruinée, dans une ferme en Eure et Loire prêtée par un ex. Elle fera de cet endroit un dernier lieu magique, couleurs flamboyantes aux murs et fêtes avec ses intimes qui lui rendent visite. En 2004, elle meurt d’un cancer, entourée d’amis fidèles, après avoir refusé tout soin. Lizzy Mercier Descloux, une éclipse est un beau portrait d’une étoile filante qui aurait pu devenir une star mais ne le voulait pas. Simon Clair fouille, explore les recoins de l’époque, scrute les courants musicaux, examine les bouleversements sociétaux et intimes pour livrer sa version de Lizzy, vision forcément partielle, subjective, fatalement touchante.
Marianne Peyronnet