On aime ou on n’aime pas Siné, qui fut, par bien des aspects, une sorte de beauf de gauche, mais force est de reconnaître qu’il avait l’œil et le bon.
Passé par la prestigieuse école Estienne, où il brilla en matière de mise en page et de typo, il devait rester toute sa vie orfèvre en la matière. Trop enragé pour persister dans la publicité, ce fut pourtant par là qu’il débuta, dès les années 50, avec des campagnes pour la RATP, Schweppes ou la Loterie Nationale, là où il roda son style reconnaissable entre tous, avant que sa fameuse série des « chats » ne lui apporte subitement gloire et pognon. Sans vouloir cracher dans la soupe, il le regretta toujours un peu : ses tripes, il les mettait ailleurs que dans l’almanach Vermot et notamment dans les nombreux journaux auxquels il collaborait : L’express, Lui, Charlie Hebdo, L’événement du jeudi lui offraient un espace où son humeur massacrante trouvait généralement à s’exprimer. « Généralement », car avec Siné, ça passe ou ça casse et, quand ça ne passe plus, c’est lui qui se casse et fonde son propre journal : Siné-massacre, L’enragé, Siné hebdo puis Siné mensuel après son éviction de Charlie, autant de titres sans concessions qui inquiétèrent parfois jusque dans son camp. Sans concessions mais jamais sans élégance car Siné, s’il ne respectait rien, ni l’armée ni la religion ni les patrons ni la police, avait l’amour de la belle maquette chevillée au crayon. Son trait « facile » était en réalité très voulu et travaillé dans les moindres détails, lettrage et filets d’encadrement compris. Tout ça ne se savait pas assez. Il aura donc fallu attendre sa mort et – curieusement – les éditions de La Martinière pour s’en faire une idée plus précise, à travers un large choix de documents parfois rares ou surprenants, entre affiches, pochettes de disques, étiquettes de vin… Puis l’on s’empressera de courir à Emmaüs, où l’on trouve encore pour presque rien ses couvertures pour Marcel Aymé, Raymond Queneau, Georges Courteline, Alphonse Allais… tous bons auteurs qui sembleront désormais n’avoir écrit que pour se faire illustrer par Siné.
Yann Fastier