L’humour, c’est vérifié, vieillit moins bien que le saint-nectaire.
Témoins les histoires de pruneaux et de cocus dont s’égayaient nos aïeux et qui ne font même plus pouffer dans les EHPAD. Tandis que le Français compense en affinant sa fourme, l’Anglois et ses dérivés d’Amérique, privés de roquefort, se vengent en enrobant leurs propres facéties d’un mystérieux principe conservateur qui, de Mark Twain à P.J. Wodehouse, leur permet de passer allégrement la date. L’Américain James Thurber (1894-1961) tient vaillamment son rang parmi ces humoristes dont Wombat se fait depuis quelques années le devoir sacré de dérouler la kyrielle. La vie secrète de Walter Mitty, son œuvre la plus connue – plusieurs fois adaptée au cinéma – ne doit pas faire oublier un certain nombre d’autres titres, parmi lesquels Ma chienne de vie, constamment rééditée, ne fait pas figure de dernier de la portée. Pilier du New Yorker, où parurent ces drôles de mémoires, dessinateur « natif » et précurseur d’un certain minimaliste, Thurber est de ces imperturbables gentlemen capables d’exposer les plus invraisemblables scènes d’hystérie sur le ton de la conversation courante. Ainsi de cette panique générale qui, dans son enfance, saisit la population entière de Columbus (Ohio), persuadée que « la digue avait cédé » ou bien des diverses descentes de police subies par une famille prompte à s’alarmer au moindre bruit suspect. Soyons francs : on soupçonne cette « autobiographie comique » de privilégier largement le comique à l’autobiographie et l’auteur de l’avoir écrite en cachette de sa mère. De même, à moins d’être exceptionnellement bon public, ne fera-t-on pas bondir ses voisins en s’esclaffant bruyamment dans le train : on se contentera de sourire, mais plus souvent qu’à son tour, avec une prédilection pour les multiples à-côtés et incidentes qui émaillent ces chroniques avec un grand sens de la cerise (sur le gâteau) et leur gardent, les années passant, une inimitable texture. Juste assez crémeuse, jamais coulante.
Yann Fastier