Dans Dracula, le roman de Bram Stoker, l’être suprêmement maléfique arrivait à Londres à fond de cale à bord du Déméter.

 

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Dans la soute, de mystérieuses caisses remplies de terre, à l’abri de la lumière du jour, gisaient. La goélette était vide de tout équipage. Seul le capitaine, attaché au gouvernail, mort, était retrouvé. Qu’avait-il bien pu se passer au cours de la traversée ? C’est ce qu’imagine José Luis Zàrate, dans ce court roman sensuel et envoutant. Les aventures maritimes, le vase clos et les péripéties qu’elles induisent sont à la source de nombreux récits exaltants. Le long périple du Déméter, en cette année 1897, ne pouvait qu’être propice à l’imagination et aux spéculations.

En plus du capitaine, cinq matelots, deux officiers de pont et un cuisinier embarquent, chargés de transporter une cinquantaine de caissons dont ils ignorent le contenu jusqu’en Angleterre. Ils partent de Varna, en Bulgarie, et devront traverser la Mer Noire, la Mer Egée, la Méditerranée et longer les côtes européennes. Le voilier souffre, gémit, se plaint. A la chaleur de plomb des jours où l’on ne peut se cacher du soleil, à la morsure du sel et de la sueur, succèdent les nuits glaciales. Des phénomènes inexplicables se multiplient. Les hommes sont comme envoutés, hypnotisés par une entité énigmatique. Les rats noirs quittent le navire, se précipitant dans les flots, fuyant la cale et les rats blancs qui veillent. Est-ce la peste ? Ou un fléau pire encore qui frappe le Démeter ? Une calamité qui consume les âmes ?

Les faits sont relatés par le capitaine. Dans son journal de bord, destiné à la postérité. Et surtout à travers ses pensées, indignes d’être notées, inavouables. Car il lutte contre un mal plus puissant que la force qui décime son équipage : son attirance pour les hommes dont il a la charge. Les torses glabres et dénudés lui inspirent mille envies le jour. Ses nuits sont pleines de rêves d’étreintes, de cous embrassés jusqu’au sang. Des rêves, vraiment ?

La symbolique sexuelle parcourait l’œuvre initiale de Stoker. Zàrate s’en empare et la décline à l’envi. Ce qui tue les marins, c’est bien sûr cette présence impalpable terrée en soute. C’est surtout le désir d’un homme, un désir qu’il ne peut contenir, une soif inapaisable malgré la culpabilité qui le détruit inexorablement, portée par le souvenir d’un amant lynché par la foule, il y a longtemps.

Zàrate revisite le thème du vampire dans toute sa splendeur originelle. Point de monstres qui volent ou jouent du piano pour envouter leur belle ici. Les adorateurs d’une bit-lit édulcorée pour ado seront déçus. Si les phénomènes fantastiques se multiplient dans l’espace fermé du vaisseau bientôt fantôme, les scènes horrifiques sont éclipsées au profit d’une introspection qui terrifie plus le capitaine que des mésaventures factuelles même terribles. L’étrange, souligné par de nombreuses références à des mythes et superstitions locales, (comme ces strigoi, ces oiseaux de nuit qui sucent la chair humaine, ou ces monstres du Ghana, des rats dont on soude la mâchoire, laissant pousser leurs dents), porté par le déchainement des éléments naturels, est insinué, érotique, intense comme les pulsions.

Marianne Peyronnet