Angleterre. 30 mars 1924.

 

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Jane, vingt-deux ans, femme de chambre chez les Niven, va vivre un épisode déterminant de son existence. Aujourd’hui, c’est le dimanche des mères, cet unique jour de congé annuel accordé par les aristocrates à leurs domestiques pour qu’ils aillent visiter leurs mères. Jane n’a pas de mère. Comment occuper ces quelques heures de liberté, en cette journée radieuse ? Se promener à vélo ? Lire ? Plutôt répondre à l’appel de Paul Sheringham, le fils de bonne famille des voisins, qui la convie dans sa propriété désertée.

Jane et Paul sont amants de longue date. Avant, il la payait. Il est fiancé à présent et va faire un beau mariage. Ils ont découvert ensemble l’amour physique, sept ans plus tôt. Est-ce de l’amour ? Tandis qu’elle le détaille choisir avec soin les atours qu’il portera pour plaire à sa future femme, Jane se le demande. Elle est nue, étendue sur ce lit, elle est belle, il ne la regarde déjà plus. Il s’en va, pressé. Elle est seule dans cette bâtisse inconnue, interdite.

Le diable se cache dans les détails. Et c’est par touches infimes, prétendues vétilles, que Graham Swift parvient à livrer un roman de classe et un roman féministe. Intime, voluptueux autant que social et délicatement révolté.

Jane contemple cette tache qui souille les draps. Elle sait ce qu’en pensera Ethel, son homologue chez les Sheringham. Les bonnes savent tout de leurs maîtres. Elle ne craint pas d’être découverte. Comment Ethel pourrait-elle l’imaginer, elle, avec l’héritier ? Paul sait se faire discret, et prévoyant. Il a su comment leur éviter les inconvénients d’une grossesse. N’est-elle qu’une servante dont il se sert à plaisir ? Est-ce si grave ? Jane ne se hâte pas, elle ne se rhabille pas. Cet acte est en soi l’affirmation de sa rébellion. Elle déambule dans les immenses pièces vides, marque de son empreinte sensuelle chaque salon. Pour la première fois, un miroir assez grand lui permet de contempler sa nudité et cette image lui plaît. Est-ce à ce moment précis qu’elle comprend qu’il ne lui faudra pas compter sur les hommes pour s’émanciper ? Est-ce lorsqu’elle quitte les lieux, par la grande porte, dans l’idée d’aller lire un livre d’aventure, un livre pour garçons, qu’elle laisse derrière elle son statut de soubrette et décide qu’elle écrira ? Tout est possible, après tout. Les temps changent. Les voitures ont remplacé les chevaux. Riches et pauvres pleurent leurs morts. Bientôt, peut-être, tous les dimanches seront de vrais dimanches, même pour les petites bonnes.

Marianne Peyronnet