Victime des appétits brutaux des roitelets des alentours, la belle Himiko, princesse d’Umi, parvient à retourner la situation à son avantage tout en jetant les bases d’une unification du futur Japon.
Yokomitsu Riichi (1898-1947) fut l’une des figures prééminentes du mouvement moderniste au Japon, l’un des principaux romanciers de l’ère Taishô (1912-1926), période trop souvent négligée d’expérimentations tout azimut dans un Japon en pleine révolution, entre les bouleversements de l’ère Meiji qui le vit s’ouvrir à l’Occident et le militarisme catastrophique de l’ère Shôwa. En 1923, galvanisé par sa lecture de Salammbô, il voulut en offrir un équivalent japonais, basé sur une chronique chinoise évoquant une reine-chamane qui, en des temps très anciens, aurait régné sur une partie de l’archipel. Inutile de dire que ce très court roman n’a finalement que peu de choses à voir avec la somptueuse et pourrissante antiquité de Flaubert. On songerait plutôt au Sacre du Printemps, pour le caractère rapide et puissamment heurté d’une écriture éminemment visuelle, saisissante et colorée, et dont le dynamisme préfigure les somptueux anime d’un Hayao Miyazaki. Difficile, à la lecture de Soleil, de ne pas évoquer son Princesse Mononoke, chef d’œuvre absolu de l’animation japonaise et qui, comme le roman, convoque un Japon archaïque et non encore sinisé, où nature et culture ne sont pas encore clairement séparés. On se massacre ici parmi les fleurs et les cerfs prennent part aux banquets. Cette intrication de l’animal et de l’humain au cœur d’une nature exubérante reste l’aspect le plus immédiatement frappant d’un texte dont l’argument se perd volontiers sous l’opulence du décor. Mariant archaïsme et modernité à la façon dont, au même moment, les avant-gardes occidentales redécouvraient les art premiers, Riichi Yokomitsu offrait avec Soleil leur plus admirable vitrail aux lettres japonaises.
Yann Fastier