Dorrigo Evans est un vieil homme usé, chirurgien à la retraite, devenu peu à peu un héros en Australie à cause de son comportement exemplaire durant la seconde guerre mondiale.
Mal à l’aise avec cette célébrité envahissante, il culpabilise d’avoir survécu à un camp de travail au Japon, où il fût fait prisonnier et où les captifs, placés sous son autorité, furent décimés durant la construction d’une ligne de chemin de fer entre le Siam et la Birmanie. Sollicité pour écrire une préface à un livre de dessins réalisé par un des détenus et sauvé par miracle, Dorrigo Evans replonge graduellement dans ses souvenirs de la vie dans le camp, où tout manque : médicaments, nourriture, vêtements, outils, et où la maladie fait rage tandis que la pluie et la boue deviennent les pires ennemis. Dorrigo, officier en charge des détenus australiens et médecin du camp, doit trouver chaque jour des stratagèmes pour préserver les prisonniers de la folie des gardiens japonais, pour parvenir à soigner les nombreuses affections déclenchées par le manque d’hygiène et la dénutrition, et pour soutenir ceux qui creusent la voie ferrée dans des conditions inhumaines.
Déterminé à m’importe quel prix à terminer cette ligne de chemin de fer avant la fin de la guerre, obnubilé par le déshonneur que lui vaudrait la faillite de cette entreprise, le commandant du camp devient peu à peu, sous la pression des événements, un terrible tortionnaire, un monstre délirant sans la moindre pitié qui tente, en appelant à l’âme japonaise, de justifier ses actes. Dans ce combat permanent peu survivent, mais malgré l’enfer Dorrigo tient, à cause d’une promesse, celle qu’il fît à l’épouse de son oncle de revenir la chercher après la guerre. C’est cette passion bouleversante qui soude ensemble les éclats fragiles de cette vie qui s’étiole, dans cet endroit terrible, où les hommes se tuent à l’exécution d’une tâche absurde, sous le commandement d’officiers déments, obnubilés par un défi insensé dans une guerre perdue d’avance. Alors, au terme de sa vie, Dorrigo Evans continue de se battre contre l’oubli et les failles de sa propre mémoire, probablement pour racheter la faute d’avoir survécu, pour dénoncer l’absurdité de cette guerre, pour tenir sa promesse ?
Récompensé par le Man Booker Prize en 2014, un roman plein de boue et de sang, illuminé par un amour poignant et qui résonne avec la vie de Richard Flanagan, descendant de condamnés irlandais déportés en Tasmanie, dont le père travailla sur cette ligne de chemin de fer et y survécut.
Lionel Bussière