Au large de l’île d’Aix, dans un Fort Boyard avant la lettre, la petite garnison qui veille sur la baie capture par hasard l’un des plus grands ennemis de l’Empereur,
Lord Cochrane, « Le loup des mers », celui-là même qui, quelques années auparavant a détruit à lui seul une bonne moitié de la flotte française à la faveur d’un incroyable coup d’audace. Mais d’étranges et effrayants événements ne tardent pas à se produire et, devant l’évidence, les ennemis d’hier devront s’unir pour combattre ce qui pourrait bien s’avérer un péril bien plus grand que tout ce que l’homme a pu imaginer. Car Cthulhu se réveille, et il n’est pas content.
Il faut imaginer la rencontre de C. S. Forester et de H. P. Lovecraft pour se faire une idée de cette très improbable histoire, certainement consécutive à une sérieuse intoxication aux fruits de mer. Et pourtant, elle tourne ! Héros des guerres napoléoniennes puis des guerres d’indépendance d’Amérique Latine, Lord Cochrane a réellement existé et sa vie aventureuse suffirait à remplir une bonne trentaine de romans. Alors pourquoi pas Cthulhu ? Il suffisait d’un trou dans sa biographie – les quelques semaines qu’il passa dans la clandestinité après son évasion d’une prison londonienne – pour que la fertile imagination d’un scénariste chilien lui arrange un rendez-vous, sur la base d’une documentation historique sans faille et d’une vieille tendresse pour le solitaire de Providence. Et c’est un solide roman d’aventure à l’ancienne qu’on obtient à l’arrivée, une histoire d’hommes, sans la moindre bonne femme pour gâcher la fête (puisque Cthulhu lui-même s’avère être un monsieur, on en jugera sur pièce). A la fois fidèle à Lovecraft et suffisamment malin pour le revisiter de façon personnelle, Gilberto Villaroel excelle à mettre en place des personnages crédibles (jusqu’aux frères Champollion, convoqués pour les besoins de la cause) dans une ambiance de fin du monde qu’apprécieront les amateurs de Hellboy et de BPRD. Une ambiance un peu gâtée, toutefois, par une traduction parfois approximative et de trop nombreuses coquilles.
Mais peut-être faut-il y voir, encore une fois, la griffe de l’innommable…
Yann Fastier