Luther Eustis est un paysan pauvre du Mississippi. A cinquante ans, il n’a ni raté ni réussi sa vie.

 

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Il cultive sa terre et nourrit sa femme et ses deux filles, dont l’une est lourdement handicapée. La Bible guide ses pas… Jusqu’à ce qu’il croise la route de Beulah Ross, dix-huit ans, femme de mauvaise vie par atavisme. Il commet le péché de chair avec la diablesse et s’enfuit avec sa belle sur une île où il pourra vivre son amour loin du jugement des hommes… Jusqu’à ce que, rattrapé par l’idée du mal, prenant conscience de sa faute, il décide de la quitter. Beulah refuse. Il la noie et leste son corps de ciment. Quand le cadavre remonte à la surface, il est vite arrêté.

Dès le premier chapitre, on connaît l’assassin. Si suspense il y a, Foote le maintient dans le déroulé du procès de son personnage principal et dans l’issue du verdict. Car si même Eustis a avoué son crime, reste à savoir comment vont le juger les jurés, s’il sauvera sa tête. S’ensuit le défilé des différents protagonistes qui suivent l’affaire ou y sont mêlés. Et à travers leurs déclarations, leurs pensées profondes, leurs croyances ancrées de superstitions, se dessine le portrait d’une Amérique pudibonde, avide de rejeter ceux qui se détournent des normes, prostituées et noirs en ligne de mire. Eustis n’a rien de noble. Rien d’ignoble non plus. Il est le produit de son époque et du Sud profond qu’il incarnait si bien jusqu’au drame. Le condamner, c’est condamner la société dans son ensemble, c’est remettre en cause les fondements qui l’ont bâtie. C’est admettre que Dieu est incapable de garder les hommes, même les plus zélés, dans le droit chemin.

A mesure du procès, les langues se délient. Celle de l’avocat d’Eustis, qui connaît toutes les techniques de manipulation. Du reporter local, avide de reconnaissance. Du geôlier qui raconte les conditions de vie en prison. De la femme de l’accusé, de la mère de la victime. C’est entre les lignes, dans les relations tissées au sein de la communauté que l’on comprend ce qui se joue.

Shelby Foote excelle à donner une voix à chacun, personnelle, incarnée, et pourtant tellement conforme à ce que l’on attend de lui. Aucun ne peut réellement aller au-delà des préjugés qui l’ont bercé. Et l’on se prend, par fulgurances, à penser comme eux, tant l’écriture de Foote est pénétrante. Puis l’on se reprend, se parjure, s’en veut. Et l’on touche du doigt le génie avec lequel l’auteur fait pencher nos cœurs. Les scènes se succèdent, dénuées de toute surprise, et à ce titre extra-ordinaires. Celle lors de laquelle Eustis succombe à Beulah la première fois, où l’on sent peser la chaleur, monter la sève. Celle où il revient près des siens, prenant son temps, s’achetant un nouveau costume, passant chez le coiffeur, comme s’il ne venait pas de tuer, comme s’il ne risquait pas lui-même de mourir.

Tout semble écrit d’avance, comme dicté depuis là-haut, dans cette société où les mentalités se plient aux préceptes bibliques. Pourtant, c’est bien ici-bas que les hommes vivent, les pieds sur la terre, les mains autour du cou de jolies blondes. 

Texte puissant, admirable de justesse, Tourbillon, paru initialement en 1950 aux USA et en France en 1978, méritait vraiment cette magnifique réédition.

Marianne Peyronnet