Déchéance et mort d’un peintre alcoolique. Voilà pour l’histoire.

 

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Mais d’abord il y a la couverture, un dessin de Frédéric Pajak, noir et blanc – noir surtout – comme une évidence. L’auteur du Manifeste incertain a trop fait pour nommer les membres de sa tribu pour qu’on ne sache d’avance que Ludwig Hohl y a toute sa place, parmi les suicidaires et les mélancoliques passants de l’existence. Car s’il ne fut lui-même ni peintre ni suicidé, Ludwig Hohl (1904-1980) connut assez bien cette bohème montparno dont il fait le cadre de sa descente aux enfers pour que ce récit d’un naufrage puisse être lu comme un autoportrait, au moins comme un exercice d’empathie d’une exceptionnelle acuité. Le mot pourrait sembler déplacé, s’agissant de traduire un état d’ébriété permanent, un brouillard où dominerait le flou des perceptions. C’est pourtant celui qui convient, y compris dans les blancs, nombreux, d’un roman jamais terminé, que son auteur ne cessa jamais de retoucher, jusqu’à sabrer des passages entiers, ici restitués par de simples […]. Ces lacunes n’enlèvent rien à la précision quasi géométrique de la trajectoire d’un homme qui, d’avance, sait qu’ « il n’y avait rien qui pût l’empêcher de tout perdre ». Éludant tout décor et tout pittoresque facile, et même tout naturalisme prompt à chercher des causes, le récit se concentre sur la seule chute, dont les étapes (un réveil sans chemise, un passage à tabac, l’argent, surtout, vite réduit aux « petits francs » d’un marchand d’art) ont l’urgence et le tranchant d’instantanés pris au flash, au fil d’une écriture rapide, et dont la sécheresse même objective encore le terrible inassouvissement de l’ivrogne, ce manque « qui fait trembler et saisit l’être entier, jusque dans les derniers nerfs des phalanges ». Ces abîmes, comment imaginer que l’auteur ne les ait lui-même côtoyés pour si bien les décrire, lui qui connut la misère et l’errance et dont le seul livre achevé fut précisément le récit d’une ascension, comme on se sort d’un gouffre.

Yann Fastier