Nous sommes à Sumatra, à l’ouest de l’Indonésie.
Sept villageois rentrent chez eux après avoir récolté de la résine en forêt, quand ils se rendent compte qu’ils sont suivis par un tigre. Est-ce un vieux tigre affamé, trop faible pour chasser autre chose que des proies humaines ou bien l’une de ces « aïeules » indestructibles envoyées par Dieu pour punir les hommes de leurs péchés ? Qu’importe, sous la pression, les langues se délient et les masques tombent : voleurs ou criminels, tous ont quelque chose à se reprocher, à commencer par Wak Katok, le chef, soi-disant expert en sorcellerie et en arts martiaux, qui s’avère n’être qu’un lâche de l’espèce la plus vile. C’est alors à Buyung, le plus jeune, qu’il appartiendra de sauver ce qui peut l’être en venant à bout, non seulement du tigre, mais aussi et surtout de son propre « tigre intérieur », révélateur et Némésis de toutes les humaines passions.
On n’a pas tous les jours l’occasion de se mettre un roman indonésien sous les crocs. Publié en 1965, Tigre ! Tigre ! est un classique en Indonésie et son auteur un journaliste et écrivain respecté, mort couvert d’honneurs en 2004. Ecrit simplement, dans une belle langue dépouillée de tout lyrisme excessif, le récit fonctionne avant tout comme un parfait roman d’aventure, au suspense haletant, mais aussi comme une plongée dans un univers mental pour nous parfaitement exotique, au sens élargi où l’entendait Victor Segalen. On est également prié par l’éditeur d’y voir une claire dénonciation du régime pro-communiste de Soekarno, avec lequel Lubis eut maille à partir. L’histoire ne dit pas s’il s’accommoda mieux de celui de Soeharto et du million de morts consécutifs à sa prise de pouvoir en – tiens, tiens – 1965. On n’hésitera donc pas à prolonger sa lecture en visionnant The act of killing, stupéfiant documentaire de Joshua Oppenheimer (2012) qui nous en dira plus long sur la vraie nature des tigres.
Yann Fastier