Sans faille, mais non sans fêlures :

 

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les deux nouvelles réunies sous ce titre ironique ont justement en commun d’explorer ces imperceptibles lignes de fracture qui, parfois, font s’écrouler d’un coup les édifices les plus solides en apparence. L’édifice, en l’occurrence, est ici celui d’une bourgeoisie milanaise à laquelle Alberto Vigevani (1918-1999) aura consacré l’essentiel de son œuvre (voir en particulier Un été au bord du lac, chez le même éditeur).

Lettre à monsieur Alzheryan dresse le portrait subtil d’un financier juif, parrain du narrateur dont l’admiration enfantine ne connaît pas de bornes. Généreux et solaire, monsieur Alzhéryan incarne à lui seul la stabilité d’un monde rassurant, « (…) nuancé de tons pastels cernés d’or, brillant de miroirs et de cuivres… », un monde anhistorique pourrait-on dire, s’il ne se fracassait soudain sur la Grande Crise. Intuitif et d’une extrême sensibilité à l’air du temps, monsieur Alzheryan ne se brûle pas la cervelle : il ternit, puis s’éteint, comme on passe de l’insouciance des années folles à la grisaille des années 30, annonciatrice d’orages à venir.

Ces orages éclateront dans la nouvelle suivante. Une amitié exemplaire met en scène un riche industriel dont l’exubérante et indéfectible amitié pour le narrateur et ses parents se verra hypocritement remise en cause par les lois raciales de 1938, qui excluent soudain les Juifs de toute vie sociale. Paradoxalement, s’il cesse de le fréquenter, le jeune homme ne lui en veut pas, conscient que « (…) le mythe d’une amitié sans faille, sans compromis, était encore une illusion puérile ».

Car ce monde qui s’effrite et semble s’affaler plus qu’il ne s’écroule, c’est d’abord et avant tout celui de l’enfance. Une enfance heureuse et protégée qu’Alberto Vigevani explore dans une langue songeuse et précise à la fois, avec une sensibilité très proustienne en somme, pour mieux en démêler les trompe-l’œil et les prestiges.

Yann Fastier