Pour ceux qui penseraient encore que le Japon, c’est cool, l’histoire de Rokudenashiko est édifiante.

 

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Mangaka et artiste, Megumi Igarashi alias Rokudenashiko (« Bonne à rien » ou « Mauvaise fille ») est la créatrice et la principale animatrice de l’art manko (littéralement « l’art de la chatte »). Fin 2014, pour avoir un jour réalisé un moulage de sa vulve et l’avoir diffusé sur différents supports (coques de téléphone, dioramas, lustre, canoé…) elle est arrêtée, emprisonnée et très sérieusement inculpée pour « obscénité » par un tribunal de Tokyo. Rapidement, son affaire fait le tour du monde, les soutiens se multiplient et sa cause devient emblématique d’un certain malaise au pays du soleil levant. Voyons : un pays jadis fameux pour ses estampes érotiques et sa liberté de moeurs, un pays où, dans certaines régions, l’on trimballe en procession des godemichets géants, le pays du hentai, de l’enjo kosai, des love hotels et du lolicon, où des filles de onze ans peuvent très légalement s’exhiber en postures suggestives à longueur de magazines et de dvd… un tel pays ne saurait tolérer la moindre représentation non floutée d’un simple fri-fri ? Ces messieurs auraient-ils oublié d’où ils sortent ? On comprend mieux cependant d’où vient une telle trouille quand on se souvient qu’en matière de droit des femmes, le Japon est l’un des pires endroits au monde : mariage, divorce, travail, maternité… sur tous ces sujets le Japon stagne au bas de l’échelle, derrière certains pays du tiers-monde. Une femme doit se marier jeune, avoir des gosses et rester à la maison pour s’en occuper, point. L’irruption rigolote d’une mignonne petite craquette est-elle vraiment susceptible de faire vaciller ce bel édifice ithyphallique ? Il faut le croire, à voir la réaction des flics et des magistrats, plus haineux et bornés les uns que les autres. La « Bonne à rien » raconte tout cela avec beaucoup de bonne humeur et beaucoup de combativité. Passé un premier moment de sidération (ça ne rigole pas vraiment dans les prisons japonaises), elle prend soudain conscience du soutien dont elle fait l’objet et ne lâche désormais plus le morceau. Ainsi prend-elle un malin plaisir à contraindre les magistrats à répéter jusqu’à plus soif le mot « chatte » à la lecture de ses déclarations. Hélas, malgré le nombre et la qualité de ses soutiens, malgré une armée d’avocats trop heureux de ferrailler pour elle, Rokudenashiko sera bel et bien condamnée à une amende de 400 000 ¥ pour « obscénité ». Quelle que soit l’iniquité du verdict, l’histoire aura au moins eu le mérite de mettre en lumière un vrai problème de liberté d’expression et, surtout, de permettre à de nombreuses femmes de s’affirmer non seulement pour ce qu’elles sont mais encore pour ce qu’elles ont.

Il serait évidemment facile de se gausser des juges nippons, de ne voir dans cette affaire que l’une de ces bizarreries plaisamment exotiques auxquelles nous ont habitués nos amis Japonais. Ce serait oublier qu’il n’y a pas si longtemps que Facebook censurait L’origine du monde de Courbet pour les mêmes raisons et que l’autodafé n’a jamais cessé de peupler les rêves de nos propres calotins.

Petites lèvres de tous les pays, unissez-vous !

Yann Fastier